Loi Blanquer : l’abus de confiance
Mis à jour le 25.03.19
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Le projet de loi remanie en profondeur le fonctionnement de l’école
C’est peu de dire que la communauté éducative est vent debout contre le projet de loi pour une « école de la confiance ». L’appel unitaire à manifester le samedi 30 mars dans toute la France pour exiger l’abandon du texte en témoigne. Organisations syndicales du premier et du second degré, parents d’élèves, se retrouveront pour porter un autre projet, synonyme de justice sociale et de réussite pour tous les élèves. Ce sont les véritables défis auxquels est confronté le système éducatif aujourd’hui. Les évaluations PISA viennent régulièrement rappeler que par rapport aux pays de l’OCDE qui lui sont comparables, la France est à la traîne. Elles montrent surtout qu’inégalités sociales et scolaires restent fortement corrélées et qu’elles se creusent.
Une école à deux vitesses
De tout cela, il n’est guère question dans la loi Blanquer. Tel Kaa cherchant à endormir Mowgli, le ministre de l’Éducation nationale demande qu’on ait « confiance » pour mieux masquer ses véritables intentions. Son école, en réalité, c’est une bonne dose de défiance vis-à-vis des personnels de l’Éducation nationale et de l’institution scolaire. Exit le Cnesco, organisme indépendant, bienvenue au Conseil d’évaluation de l’école directement piloté par le ministère et évaluant sur commande. Les tests CP et CE1 passés cette année donnent un avant-goût de ce qui se prépare. Ils n’ont évalué que le décodage en lecture, réduisant à peau de chagrin la part de la compréhension. En revanche ils font entrer le système éducatif dans la culture de l’évaluation et du pilotage par les résultats. Ils permettent au ministre de préparer un encadrement très strict des pratiques pédagogiques renvoyant les enseignantes et les enseignants à un rôle d’exécution. L’école « de la confiance », c’est aussi un fameux tour de passe-passe. La création des établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux est arrivée à l’Assemblée par le truchement fort opportun d’un amendement sorti du chapeau. Avantage de cette ruse : la mesure n’a pas été présentée au Conseil supérieur de l’éducation et n’a pas été prise en compte dans l’étude d’impact du projet de loi. Et hop, circulez y’a rien à voir ! Pourtant il y a tant à dire sur cette disposition. « N’y aurait-il pas la tentation de mettre en place des écoles à double vitesse ? Pour certains et certaines, un socle commun exigeant et pour d’autres une école réduite aux fondamentaux. Les mots ont un sens », commente l’historien de l’éducation Claude Lelièvre. Et c’est sans parler des conséquences du regroupement écoles-collège sur la direction d’école et la liberté pédagogique des équipes. « Le principal, comme supérieur, aura un regard sur les méthodes, sur les pratiques. Enfin, il y aura un impact aussi sur le paysage éducatif, avec la disparition de petites écoles », prévient Hervé Duchauffour, chercheur en sciences de l’éducation.
Une opération d’enfumage
La technique de l’amendement, c’est aussi une belle opération d’enfumage, une manière d’éviter de montrer que la loi passe à côté des véritables enjeux pour l’école. Comment comprendre autrement cette focalisation des débats sur la présence des drapeaux et du refrain de La Marseillaise dans les classes, sur la mention du parent 1 et du parent 2 ? Est-ce ainsi que les élèves éprouveront les valeurs du vivre ensemble et de la citoyenneté ? Est-ce ainsi qu’ils réussiront mieux à l’école ? Mesure qui se veut emblématique, l’instruction obligatoire à partir de 3 ans est elle aussi sujette à caution. Difficile de ne pas être d’accord avec ça, même si déjà 97 % des enfants de cet âge vont en maternelle. Mais dans les territoires où les besoins sont bien réels, Mayotte et la Guyane, le dispositif ne sera pas mis en place faute de moyens : ce qui n’empêchera pas de faire un cadeau de 150 millions d’euros à l’enseignement privé sous contrat. Pour les communes, comme celle de Metz, devront en effet désormais financer leurs maternelles privées. Le ministre fait une promesse mais reporte sur autrui la charge. C’est ça aussi « l’école de la confiance », du bidonnage pour masquer un manque d’ambition budgétaire. Comment interpréter autrement que par une course aux économies, la volonté de mettre dans les classes des étudiantes et étudiants, donc des personnels pas encore formés, alors que les postes d’enseignement spécialisé et de remplacement sont sans cesse en diminution, que les effectifs par classe restent trop élevés ? Au total, 25 articles très disparates forment une loi attrape-tout, sans colonne vertébrale éducative, sans vision – ou en tout cas non avouée. Une loi qui tente aussi de museler les personnels. Défiler dans les rues le 30 mars et après, c’est dire non à l’école Blanquer, c’est dire oui à un autre projet pour l’école.
Un 30 mars unitaire
« Monsieur le ministre, pour améliorer l’école vous n’avez pas notre confiance ! » C’est en ces termes que le SNUipp, avec la FSU, l’Unsa-Éducation, le Sgen-CFDT, la CGT-Éducaction et le SNALC affirment leur opposition à la loi Blanquer et appellent ensemble toute la profession à manifester le 30 mars prochain. Dans un communiqué daté du 12 mars, les syndicats estiment que ce projet de loi est devenu, au fur et à mesure de ses évolutions, un texte qui bouleverserait le fonctionnement du système éducatif et fragiliserait encore l’école. Ils s’opposent notamment à la création des établissements publics locaux d’enseignement des savoirs fondamentaux (EPLESF), aux cadeaux financiers faits au privé, à la fin de l’évaluation indépendante des politiques éducatives et à la reprise en main de la formation des enseignants basée sur une conception du métier réduite à des fonctions d’exécution. À l’inverse, ils réclament une priorité au service public d’éducation, des perspectives ambitieuses pour la réussite de tous les élèves, une véritable reconnaissance de tous des personnels.