“Une loi attrape-tout”
Mis à jour le 24.03.19
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Claude Lelièvre, historien de l’éducation
Encore une nouvelle loi sur l’école… qu’apporte-t-elle ?
Claude Lelièvre : Contrairement à ce que l’on croit souvent, les lois portant sur l’école sont fort rares. Il n’y en a eu que trois ces trente dernières années. La loi Jospin en 1989, Fillon en 2005 et Peillon en 2013. Elles ont donné lieu à des débats éclairants avec du sens. Si on peut ne pas être d’accord avec leurs orientations, elles ont constitué un moment privilégié de discussion au parlement. Avec celle-ci, on est par contre bien incapable de définir une orientation avec ses 25 articles hétéroclites. Certains amendements ont été très médiatisés alors qu’ils n’avaient que peu de sens pour changer l’école et ils ont occupé beaucoup de temps. Les questions les plus importantes sont arrivées après le dépôt du projet de loi : la mise en place des établissements publics des savoirs fondamentaux ou encore l’amendement gouvernemental sur l’obligation de formation de 16 à 18 ans.
Selon le ministre, si l’école a réussi la massification, il lui reste à faire réussir tous ses élèves. Le projet de loi peut-il y contribuer ?
C.L. : L’allongement de l’obligation de formation de 16 à 18 ans peut être pensé en ce sens. Mais on peut avoir plus d’école et que ça reste du quantitatif. Quelles mesures seront prises pour s’occuper de manière serrée des élèves décrocheurs ? Avec la mise en place des établissements publics des enseignements fondamentaux, on peut à l’inverse avoir un sérieux doute. Quand on sait ce que sont les « fondamentaux » pour le ministre, il y a de quoi s’inquiéter. Une conception particulièrement restreinte qui est loin de prendre en considération l’ensemble du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. N’y aurait-il pas la tentation de mettre en place des écoles à double vitesse ? Pour certains et certaines un socle commun exigeant et pour d’autres une école réduite aux « fondamentaux ». Les mots ont un sens. Cette école aurait pu s’appeler école de la scolarité obligatoire ou du socle commun.
L’instruction obligatoire à 3 ans, n’est-ce pas une avancée ?
C.L. : On sait que sur le fonctionnement réel de la maternelle cela ne changera pas grand-chose, la plupart des enfants y sont déjà scolarisés. Ce qui est intéressant sur ce sujet c’est d’analyser comment s’étaient positionné les cinq principaux grands candidats ou candidates à la présidentielle. La droite et l’extrême droite avaient proposé d’avancer d’un an l’obligation scolaire avec la volonté de séparer les 3 et 4 ans d’une scolarisation réelle. De l’autre côté de l’échiquier deux candidats, Mélenchon et Hamon, portaient l’instruction obligatoire à 3 ans pour sécuriser la maternelle. De fait, la principale incidence de cette mesure sera le financement de l’école privée. Le seul qui ne s’était pas exprimé sur cette question c’est le président de la République qui l’a finalement présenté de manière opportuniste comme une mesure sociale lors des Assises de la maternelle.
Drapeau en classe, parents 1 et 2, comment avez-vous apprécié l’irruption de ces thèmes ?
C.L. : J’y ai vu l’arrière fond d’une situation politique générale où certains veulent mettre en avant des thématiques identitaires avec une délectation manœuvrière. C’est aussi l’effet d’une loi attrape-tout, sans colonne vertébrale identifiée, qui facilite et autorise le « n’importe quoi ». Enfin, c’est une méconnaissance arrogante de ce qui se fait ou peut se faire à l’école de façon opérationnelle. Sur le fond ce n’est pas très important mais c’est symptomatique d’un climat qui n’est pas très sain.
Avec l’article 1, le ministre peut-il restreindre l’expression enseignante ?
C.L. : Tout dans cette loi s’est passé comme une série de coups, de ruses. Ce n’est pas de l’ordre de la grande navigation mais du cabotage sans ligne directrice d’avenir pouvant être clairement revendiquée, au coup par coup, mais qui peuvent avoir des effets complémentaires et pour certains redoutables. C’est le cas de cet article qui, positionné en premier, prend une place particulière. Le ministre refuse de le retirer malgré l’avis du Conseil d’État et des syndicats. Il annonce que cela ne change rien mais il le maintient quand même. Cela participe d’une vision à la fois autoritaire et rusée de la direction de l’Éducation nationale. C’est un article d’intimidation qui risque fort de peser sur le quotidien des personnels.