Tribune : des projets de programme en rupture

Mis à jour le 05.06.24

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Les projets de programmes de français et de mathématiques de la petite section jusqu’au CE2 doivent être débattus jeudi 6 juin au Conseil supérieur de l’éducation Ils sont guidés par une vision mécanique des apprentissages et contiennent en germe une mise au pas des enseignantes et enseignants. Dans une tribune au « Monde » initiée par la FSU-SNUipp, des syndicats enseignants alertent , d’une rupture totale avec les valeurs historiques d’un enseignement émancipateur.

Le Conseil supérieur des programmes (CSP) a diffusé, le 8 avril, les projets de programmes en français et en mathématiques pour les cycles 1 et 2, de la petite section de maternelle au CE2. Alors que les programmes de 2002 puis de 2015 avaient été approuvés par la communauté éducative, le CSP, pour donner suite à la saisine (très idéologique) du ministère, a totalement réécrit et réorganisé les programmes, tournant le dos à l’ambition de la réussite de toutes et tous avec une vision différente de l’école. Rien ne va dans ces nouveaux programmes : ni la méthode, ni la forme, ni le fond.

Sur la méthode, le temps court entre la lettre de saisine du CSP, le 8 janvier, et la date prévue de mise en application, en septembre, confirme que leur élaboration n’a été voulue ni comme le résultat d’un consensus construit par une large communauté scientifique incluant didactique, sociologie des apprentissages et sociologie de l’éducation, ni par la volonté de consulter un grand nombre d’équipes de professionnels de terrain. Le temps est loin où le ministère dégageait du temps pour que les équipes soient consultées collectivement.

Sur le fond, ces programmes s’inscrivent dans une stratégie éducative en rupture totale avec les valeurs historiques d’un enseignement émancipateur, fondé sur le refus des inégalités scolaires et sociales. Ils portent une vision mécaniciste, simpliste et, finalement, dangereuse pour les apprentissages des élèves. Ils balaient d’un revers de manche des décennies de travaux en sciences de l’éducation et traduisent une méconnaissance à la fois des processus d’apprentissage des élèves mais également du travail expert des enseignantes et des enseignants.

Élémentariser l’école maternelle

En effet, en visant principalement l’objectif d’améliorer les « scores » des jeunes élèves lors des évaluations nationales et internationales, les nouveaux programmes brident à la fois les choix didactiques et pédagogiques des équipes enseignantes et transforment les professeurs des écoles en de simples exécutants de programmes livrés « clés en main ». La capacité de l’élève à réfléchir, à comprendre, à imaginer et à apprendre avec les autres, selon un rythme et des chemins qui lui sont propres, est supprimée.

Ainsi, ils rompent complètement avec la notion de cycle où les savoirs à acquérir se font progressivement et différemment d’un élève à l’autre, et où les attendus de fin de cycle valident les apprentissages. L’introduction de repères annuels et infra-annuels va créer, de fait, des normes d’acquisition qui généreront rapidement des écarts à la norme pour les élèves en difficulté. C’est une conception qui nie la réalité des différents processus et rythmes d’apprentissage, une conception rejetée depuis longtemps et qui présente un véritable danger.

Les programmes de cycle 1 oublient que l’enfant arrivant à la maternelle doit avant tout devenir un élève, et que cela passe par l’instauration d’une confiance dans les adultes chargés de l’accompagner dans cette posture. En ne regardant que les apprentissages en mathématiques et en français, le ministère marque clairement sa volonté d’élémentariser l’école maternelle en vue de la préparation aux évaluations nationales de CP.

L’élève, tout au long de sa scolarité, va ainsi se voir proposer des apprentissages ponctuels, cloisonnés et parfois mécaniques. Les stratégies détaillées relèvent surtout d’un processus proche de « j’apprends, j’applique ». De même, l’enseignement du français en cinq champs séparés se rapproche plus d’une langue à travailler que d’un langage pour construire une culture et une pensée. Face à ce cumul d’apprentissages juxtaposés, mécaniques et répétitifs, l’élève sera chargé d’élaborer seul les compétences complexes.

Un outil de contrôle des pratiques enseignantes

Ces programmes, sorte de feuille de route du quotidien, n’affichent plus d’attendus clairs de fin de cycle ni d’objectifs de culture commune à mettre en œuvre par les professeurs des écoles par des choix didactiques et pédagogiques. Au contraire, ils fournissent des « exemples de connaissances et de savoir-faire attendus des élèves mais aussi des repères d’acquisition ». Derrière cette « aide » annoncée dès le préambule des programmes de mathématiques, une nouvelle conception de la fonction enseignante est à l’œuvre.
Il est désormais demandé aux professeurs des écoles d’être des exécutants, utilisant cette feuille de route du quotidien pour enseigner des contenus précis jour par jour, semaine par semaine, et s’appuyant sur ces programmes comme sur un manuel livré clés en main. Cela renvoie à l’idée que tout le monde est capable d’enseigner sans formation ni savoir-faire, simplement en suivant un pas-à-pas.

Les évaluations nationales standardisées deviennent l’objectif même de ces programmes conçus davantage comme une base de bachotage permettant la réussite aux évaluations qu’une base de construction des connaissances. Elles doivent, dès le début du CP, être utilisées pour « identifier les élèves dont les acquis précédents sont fragiles ». La pédagogie différenciée nécessaire à la remédiation aux difficultés de ces élèves se fera alors en dehors de la classe, dans le cadre de l’accompagnement pédagogique complémentaire. Renvoyer la difficulté scolaire en dehors de la classe signifie que l’hétérogénéité de la classe n’est plus utilisée comme un moteur favorable à l’ensemble du groupe, et surtout que l’élève est rendu responsable de son échec. Par ailleurs, ces évaluations mises en place pour piloter le système sonnent désormais comme un outil de contrôle des pratiques enseignantes.
Ces projets de programmes s’imbriquent totalement dans le « choc des savoirs » voulu par un pouvoir politique en quête d’un pilotage qui mesure les performances et maintient la tension sur les élèves et les enseignants, quitte à laisser sur le bord du chemin les plus fragiles, incapables de rentrer dans ce moule. C’est bien évidemment une perte de sens de nos métiers et une caporalisation qui va s’opérer.

A rebours de ce projet, les organisations syndicales représentatives des personnels signataires de cette tribune revendiquent des programmes émancipateurs pour les élèves mais aussi des conditions d’apprentissage qui leur permettent de progresser. Cela implique nécessairement des moyens et un autre projet pour l’école.

FSU-SNUipp, SE-UNSA, CFDT Education formation recherche publiques, CGT Educ’action, SUD-Education