Présentation du dossier
Mis à jour le 16.07.17
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Freinet, Montessori, Decroly, les pédagogies alternatives ont le vent en poupe. Les nouveaux programmes y font référence car elles constituent des ressources. Mais leur promotion sert de paravent à une remise en cause de l’école publique, tandis que les écoles spécialisées se développent hors contrat.
« Libérez le potentiel de l’enfant et vous transformerez le monde avec lui. » Quelle belle invitation, offrir à ses enfants ce qu’il y aurait de mieux en matière d’éducation et qu’on ne saurait trouver ailleurs. C’est sur le site internet d’une école à Pau qu’elle est lancée et qui pourrait refuser de libérer le potentiel de son enfant ? Il s’agit d’une école hors contrat, bilingue (français et anglais) et adepte de la pédagogie Montessori (lire ici). Belle pub, donc, qui est bien dans l’air du temps. Depuis quelques années, sur fond de critique et de remise en cause de l’école publique, on assiste au développement d’une offre scolaire privée basée sur des pédagogies alternatives.
Les raisons d’un engouement #
Les raisons de ce boom sont sans doute diverses. Le fait que le nombre d’élèves en difficulté à la sortie du primaire reste, à 20%, encore trop élevé n’y est sans doute pas étranger. De même, si elle a réussi la « massification », l’école peine à réussir la « démocratisation », les inégalités scolaires y restant très prégnantes. Mais il y a aussi l’effet publicité, caisse de résonnance du livre de Céline Alvarez, « Les lois naturelles de l’enfant », paru à la rentrée 2016 dans lequel l’ex-enseignante raconte les bienfaits de la méthode Montessori expérimentée pendant deux ans dans une classe d’école maternelle en éducation prioritaire. On sait depuis, grâce notamment à une enquête menée par l’historienne des sciences de l’éducation Laurence de Cock et publiée dans La revue du crieur (lire ci-dessous), les moyens exceptionnels qui avaient été mis en place pour soutenir l’enseignante dans son expérimentation. Une initiative soutenue par le directeur de la Dgesco de l’époque, devenu depuis ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Pour autant, le spécialiste des sciences de l’éducation Philippe Meirieu, voit d’autres raisons à ce phénomène : « la montée de l’individualisme social » qui conduit à une remise en cause des institutions,« la difficulté croissante de nos compatriotes à accepter que d’autres décident à leur place du bien de leurs enfants », « une volonté de se retrouver dans un cocon avec des personnes dont on partage les comportements, les codes culturels »,ou encore, le fait que « ces pédagogies répondent à des inquiétudes de notre monde, les difficultés d’attention des élèves, le rapport à la nature qui devient le privilège de quelques-uns » (lire ici).
Un apport pour les pratiques enseignantes #
Par définition, les pédagogies alternatives issues de l’éducation nouvelle (Freinet, Montessori, Decroly), ont été conçues dès le départ en réaction à un système éducatif considéré comme imparfait, à des méthodes traditionnelles qui semblent piétiner (lire). Toutefois, leur apport à l’école est tangible. Elles ont diffusé, à commencer par les pratiques. En témoigne Stéphanie Chaudron de la maternelle Jean Boichard à Besançon. La maîtresse a rencontré la méthode Montessori au contact d’amies enseignantes. Elle en a retenu quelques principes, les a mis à sa main, en n’oubliant ni les attendus ni les objectifs de l’école républicaine. Pas question par exemple de laisser un enfant trop longtemps sans rien faire. « La phonologie est importante en MS et si un enfant n’y va pas de lui-même, je le stimule » (lire). Autre exemple à l’échelle d’un territoire, à Blanquefort-Gavaudun dans le Lot-et-Garonne : les acteurs du regroupement pédagogique intercommunal (enseignants, IEN, CPC, élus), ont monté un projet pédagogique s’appuyant sur des méthodes d’éducation active. Objectif pour les uns, faire évoluer leurs pratiques et pour les autres, attirer de jeunes couples sur le territoire du fait de la bonne presse dont bénéficient ces méthodes. Pour autant, « il ne s’agit pas d’une école Montessori mais plutôt d’une école s’intéressant aux méthodes actives qui peut avoir recours aux outils Montessori comme à ceux de la pédagogie Freinet, le plan de travail, par exemple », précise Vincent Carlier, l’IEN de la circonscription.
Porte ouverte au privé
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Les pédagogies alternatives ont aussi gagné les programmes. Ceux de 2015 et 2016 ne manquent pas de références. Au cycle 1 par exemple, ils invitent à une « école qui tient compte du développement de l’enfant » et à aménager la classe « afin d’offrir aux enfants un univers qui stimule leur curiosité, répond à leurs besoins » (lire ci-dessous). Reste qu’en matière de formation les enseignants intéressés n’ont guère de ressources. « Le problème de fond c’est la place de la pédagogie dans la formation des maîtres, elle est portion congrue, d’où le succès de ceux en dehors de l’Éducation nationale qui viennent avec des pédagogies en kit pour apporter des solutions toutes faites aux enseignants », remarque encore Philippe Meirieu. Mais le débat sur la pertinence de ces méthodes gagnerait en sérénité s’il ne servait pas de paravent à une remise en cause de l’institution scolaire, à faire avancer l’idée qu’il serait possible de créer un réseau parallèle à l’Éducation nationale, une alternative privée. Si certaines de ces pédagogies mettent l’accent sur une individualisation de l’enseignement, la mission de l’école publique n’est pas seulement d’instruire chaque individu séparément, mais d’éduquer ensemble des citoyens différents pour qu’ils apprennent à vivre ensemble et à faire société. À Pau l’école privée fait payer cher ses promesses, entre 450 et 650 euros de frais de scolarité par mois. Ce n’est pas à proprement parler ce que l’on pourrait appeler une école pour tous.
Une place dans les nouveaux programmes #
La lecture des programmes 2015 et 2016 montre bien combien des idées venues des pédagogies actives type Freinet, Decroly ou Montessori ont fait leur chemin dans le système éducatif français. Dès le cycle 1, les textes prônent une « école qui tient compte du développement de l’enfant »et aménage la classe « afin d’offrir aux enfants un univers qui stimule leur curiosité, répond à leurs besoins ». Cela légitime le recours à du matériel pédagogique et des situations d’apprentissage variés. Cette influence se retrouve également dans « l’évaluation positive » prônée en maternelle. Ou encore dans l’utilisation du vécu des élèves chère à l’École moderne. Dans tous les cycles ces « connaissances intuitives » servent de « fondements aux apprentissages explicites ». Enfin, on retrouve la patte des mouvements d’éducation nouvelle dans la prise en compte de l’expression des élèves qu’elle soit artistique, corporelle, littéraire, la place accordée à la correspondance scolaire ou aux débats argumentés. La « démarche de projet » est même explicitement encouragée afin de développer "la capacité à collaborer, à coopérer avec le groupe".
Le dossier est consultable ici.
L'ensemble du dossier #
Histoire: l’enfant au centre de l’Éducation nouvelle.
« Une expérimentation autour des méthodes d’éducation active. »
Une école hors contrat à Pau (64): "Dis t’as-vu Montessori ?"
A Besançon (25): une adaptation en classe maternelle.
Philippe Meirieu: « Une montée de l’individualisme social et du repli sur soi ».