Construire des traces écrites en maternelle

Mis à jour le 20.03.25

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Reportage dans la Marne où l'entrée dans l'écrit fait sens/ITW Sandrine Fraquet

À Châlons-en-Champagne, dans la Marne, l’entrée dans l’écrit se fait dès la petite section autour de véritables situations de communication porteuses de sens.

Sandrine Fraquet

« Ce matin, c’est classe dehors », indique Delia Gobert, enseignante à l’école maternelle Victor Hugo à Châlons-en-Champagne dans la Marne. Mais avant de prendre la direction du terrain, Delia questionne ses 22 élèves de petite, moyenne et grande sections sur ce qu’ils avaient réalisé avant les vacances d’hiver. « Il faudra observer les changements car avec les premiers changements car avec les premiers changements car avec les premiers soleils, la nature se transforme », souligne-t-elle. « Oui, des fleurs ont poussé dans le jardin de mon papy », confirme Keren. « Comment s’appellent-t-elles ? », interroge Anduin. Keren ne s’en rappelle plus. « On pourrait demander à son papy d’écrire le nom de la fleur sur un papier », suggère Adèle, « comme ça la maîtresse pourra nous le lire ». « C’est une très bonne idée, relève la maîtresse. Avec le nom, nous pourrons chercher la fleur dans nos livres documentaires ».

Équipés de combinaisons imperméables, de bottes, bonnets et gants, les élèves partent à l’assaut de la nature champenoise. « Ils ont fait une cabane ! », constate avec émerveillement Louna. « On pourrait dire merci aux gens de la mairie, propose Lilé. « Comment faire ? », demande la maîtresse. « Leur écrire une lettre », soumet Lorraine. Une nouvelle fois, les élèves proposent d’utiliser l’écrit pour s’adresser aux personnes non présentes dans l’école. Ils ont bien compris sa fonction de transmission d’un message à distance. 

EXPLORER LES ÉCRITS

Cette PEMF et militante Ageem* multiplie les entrées dans l’écrit pour donner du sens aux apprentissages . « Il est important de partir du vécu des élèves et d’être dans de véritables situations de communication, explique Delia Gobert. Un mot aux parents, une liste de course, une lettre, une légende de dessin ou encore l’écriture d’histoires ou de poésies sont autant d’écrits avec des entrées et des rôles différents. Des traces qui servent à raconter, se souvenir, informer, expliquer, apprendre… ».

Les dictées à l’adulte dès la petite section permettent, entre autres, aux élèves de voir encoder l’enseignante, ce qui rend visible et compréhensible l’écrit. Un espace scénario, où les élèves mettent en scène des situations concrètes de la vie réelle au travers du jeu, est adapté pour passer du langage oral au langage écrit. Au cours de l’année, ils sont invités, par exemple, à réaliser des listes orales puis écrites pour effectuer des achats, à emprunter des livres à la bibliothèque ou encore à créer des poèmes dans la « fabrique à Haïkus ». Une boîte aux lettres collective et des boîtes aux lettres individuelles invitent aussi les élèves à écrire des messages spontanés qui seront lus.

« L’objectif est à la fois de montrer l’intérêt de l’écrit mais aussi de prendre conscience que pour être lu et compris, il faut respecter un code ». À chaque retour de « classe dehors » , les élèves se saisissent de leur carnet d’explorateurs pour laisser une trace de ce qu’ils ont aimé durant la matinée.

RENDRE VISIBLE

« Je commence le carnet d’exploration en moyenne section. Au début, les élèves dessinent, légendent avec des signes ou graphismes, puis petit à petit, je les invite à utiliser le code alphabétique : la première lettre de leur prénom, les prénoms des camarades avec lesquels ils ont réalisé leur activité, des mots étiquette qu’ils peuvent trouver dans l’espace d’apprentissage écrit de la classe tels que cabane, ramasser ou chemin ».

Delia fait le constat d’un effet d’entraînement des élèves les plus avancés sur les autres élèves dans la découverte du code alphabétique. « J’essaie toujours de me mettre en retrait, que les élèves cherchent, se réfèrent aux différents écrits dans la classe ou s’entraident avant d’aller demander de l’aide à l’adulte ». Les plus grands développent ainsi de nombreuses compétences lorsqu’ils expliquent le fonctionnement de l’écrit à d’autres élèves.

« Qu’est-ce que tu as dessiné ? », demande Delia à Anduin. « Des marrons ». « Tu peux essayer d’écrire le mot pour légender ton dessin ». Anduin se met à bruiter la syllabe ma puis ron, « j’entends [m], [a] et [r] » et écrit « MAR ». Mais bloqué, il demande de l’aide à sa maîtresse. « Très bien. Dans le mot marron, il y a deux R », lui précise l’enseignante, garante du code orthographique. Elle indique que c’est normal qu’il ne connaisse pas le son [õ] mais qu’on le trouve dans le mot étiquette de « maison » et qu’il s’écrit avec deux lettres O et N.

Un peu plus loin, Adama a décidé d’écrire « la maison de la limace ». Elle aussi bruite doucement la syllabe la et écrit un L puis un A. Elle a entendu que le mot maison se trouvait sur le mot étiquette et s’y réfère. Pour la suite de la phrase, elle reprend son bruitage et l’écriture des lettres qui correspondent. L’enseignante lit à voix haute sa phrase « LA MAISON DLA LIMAC ». Ce faisant, elle valide et pose l’écart entre ce qu’Adama a réellement écrit et ce qu’elle voulait écrire. Adama identifie tout de suite qu’il manque un E après le D pour faire la syllabe de. Delia l’informe qu’à la fin de limace, il y a un E.

Le travail terminé, celui-ci est tamponné à la date du jour. Une marque dans le temps qui permet à l’enseignante mais aussi aux élèves de mesurer leurs progrès. « Un apprentissage qui se fait sur un temps long ».

LE RÔLE DES PE

Mireille Brigaudiot identifie trois attitudes professionnelles. Une attitude experte où le PE fait une démonstration d’utilisation de l’écrit devant les enfants sans rien demander. Un rôle de tuteur qui aide des enfants à résoudre un problème complexe d’utilisation de l’écrit grâce à une interaction verbale. Et une attitude d’observation et de recherche d’une logique de l’élève qui maintient le PE en retrait. Si le rôle de tuteur est le plus familier aux PE, les deux autres le sont moins. Or, les enfants les plus éloignés de la culture de l’écrit en ont énormément besoin parce que l’école est pour eux le seul endroit où des adultes vont leur expliquer comment fonctionne la langue écrite.

Le PE doit valoriser, c’est-à-dire donner une valeur à l’écrit de l’élève où l’erreur est tolérée et devient un élément de l’apprentissage. Il interprète, cherche à comprendre la logique et les stratégies mises en œuvre, notamment par une verbalisation en entretien individuel. Et il pose les écarts entre la procédure actuelle et la procédure experte, le résultat final. Il écrit le mot dans la norme orthographique en dessous de ce que l’élève a écrit et utilise des techniques d’étayage différentes selon les enfants.

2 questions à Sandrine Fraquet

SANDRINE FRAQUET est  conseillère pédagogique à la circonscription de Garges-les-Gonesses (Académie de Versailles). Ell est co-autrice de « L’écriture en action et actions de l’écriture à l’école maternelle », Cairn.

COMMENT LES ENFANTS S’APPROPRIENT-ILS LA LANGUE ÉCRITE ?

 l est important de s’appuyer sur l’envie de s’exprimer des élèves, de partir d’un projet personnel pour les motiver afin qu’ils osent se lancer et utilisent les premiers outils de l’écrit. Il importe de préciser que nous n’attendons pas une bonne réponse mais que ce sont leurs questionnements qui nous intéressent. C’est parce que cela correspond à un vrai projet d’écriture que les élèves deviennent de fabuleux observateurs, mémorisent, réinvestissent leurs apprentissages. Les progrès se construisent au fi l des allers et retours entre leurs essais d’écriture et l’observation des textes normés.

QU’APPORTE L’ENTRÉE DANS L’ÉCRIT AUX ENFANTS ?

Le pouvoir de créer, de faire exister des personnages, des histoires, de les incarner. Un pouvoir sur le monde car ils prennent conscience qu’un écrit peut modifier la perception des autres, faire passer un message, laisser une trace. C’est aussi une affirmation de soi. Pour certains élèves, l’écrit permet d’exprimer des choses qu’ils n’arrivent pas ou n’osent pas dire à l’oral comme des inquiétudes ou des éléments qui relèvent de l’intime. Cette entrée dans l’écrit est essentielle notamment pour les élèves dont la culture écrite est éloignée car elle est un préalable à l’apprentissage de la lecture.

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