“Voir et concevoir des figures”
Mis à jour le 18.11.25
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Concevoir la géométrie comme un enseignement qui démarre dès la petite section permet d'amener progressivement les élèves à porter un regard géométrique sur leur environnement et à accéder au raisonnement. Cette approche pédagogique qui s'appuie sur l’utilisation réfléchie des instruments de tracé et de mesure, donne toute sa place à la géométrie et enrichit plus largement les pratiques de classe.
Anne-Cécile Mathé est didacticienne des mathématiques, à l’Université Clermont-Auvergne. Les travaux de recherche qu’elle développe, en interaction étroite avec des équipes enseignantes à l’IREM de Clermont-Ferrand, porte sur l'enseignement de la géométrie dans la scolarité obligatoire.
©Hidalgo/Naja
QUEL CONSTAT FAITES-VOUS DES PRATIQUES ENSEIGNANTES EN GÉOMÉTRIE À L'ÉCOLE PRIMAIRE ?
À l’école, l’enseignement de la géométrie donne souvent une large place, d’une part, aux tracés aux instruments, que l’on souhaite précis, d’autre part à l’acquisition d’un vocabulaire spécifique. Ces deux grands objectifs sont souvent juxtaposés, et les enseignants expriment régulièrement des difficultés à saisir les enjeux de l’enseignement de ce domaine mathématique. De manière collective, il nous faut donc poser la question des enjeux de l’enseignement de la géométrie instrumentée de l’école, ses finalités conceptuelles et la manière dont on peut penser cette géométrie comme un point d’appui possible pour l’entrée dans la démonstration au collège.
COMMENT METTRE EN PLACE UNE PROGRESSIVITÉ DE LA MATERNELLE AU COLLÈGE ?
Depuis une dizaine d’années, nous explorons, avec une équipe d’enseignants au sein de l’IREM de Clermont-Ferrand, la manière dont on pourrait penser l’enseignement de la géométrie dans une continuité, de la maternelle au début du collège. Ces travaux prolongent des recherches développées dans les années 2010 dans le Nord de la France, sous l’impulsion de la didactienne Marie-Jeanne Perrin-Glorian. Ils partent de l’idée que faire de la géométrie, à la fin de l’école puis au collège, repose sur un rapport très spécifique aux figures. En effet, de manière spontanée, nous reconnaissons des formes par leur allure générale, des carrés, des rectangles, des ronds…
La géométrie du cycle 3 et celle de la dé-monstration s’intéressent quant à elles à des propriétés et des relations - la perpendicularité, le parallélisme, l’égalité de longueurs - portant sur des objets de dimension 1 – les segments, les droites – et des objets de dimension 0, les points. Entrer dans la géométrie, c’est donc apprendre à voir et traiter géométriquement des figures. Ceci n’est pas inné, cela s’apprend. Et si un enjeu fondamental de la géométrie à l’école consistait à amener les élèves, de la maternelle au collège, à enrichir progressivement leur regard sur les figures pour leur permettre de voir et concevoir des figures, des segments, des droites et des points et de plus en plus de relations géométriques ?
“Faire évoluer les instruments et le regard pour qu’émergent des objets et relations géométriques”
QUELS OBSTACLES LES ÉLÈVES RENCONTRENT-ILS ?
Mes interactions avec les enseignants et mes observations de classe font émerger, de manière très régulière, des difficultés d’élèves à voir ce qu’il y a à voir sur les figures, à utiliser le bon vocabulaire. L’approche que nous développons part justement du principe que voir géométriquement les figures s'apprend et qu’il ne suffit pas de poser des mots sur ces objets pour que les élèves puissent les voir et les concevoir.
COMMENT LEVER CES OBSTACLES ?
Je me garderai bien d'apporter une réponse définitive à cette question. Les recherches en didactique de la géométrie auxquelles j’ai pu participer ont surtout, je crois, amené à porter un regard nouveau sur les potentialités du travail autour des instruments en classe. En effet, il existe un lien étroit entre le regard que l’on porte sur les figures et les instruments que l’on utilise pour reproduire ou construire ces figures. Tracer un cercle avec un gabarit, à main levée ou avec un compas ne mobilise pas le même regard et les mêmes propriétés sur le cercle.
Par exemple, en maternelle on trace des cercles avec des gabarits. De la maternelle au collège, on peut donc faire évoluer les instruments pour faire progressivement évoluer le regard et faire émerger des objets et relations géométriques. On va alors nommer ces objets et ses relations, notamment pour communiquer. On va aussi pouvoir raisonner sur ces objets, par exemple en engageant les élèves vers la recherche de justification ou de raisons aux constructions. Les recherches donnent ainsi des pistes susceptibles de nourrir les réflexions collectives et d’outiller les enseignants pour faire des choix.