“Une gestuelle de création sur l’instant”

Mis à jour le 25.11.25

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Loin des standards classiques, la danse contemporaine apporte une dimension émancipatrice grâce à une parole de corps. La conviction de la capacité et le plaisir de la création animent enseignantes et enseignants tout autant que la danseuse chorégraphe.

Brigitte Asselineau est danseuse-chorégraphe, co-fondatrice de la compagnie De L’entre-deux en 2000. Elle a été artiste associée aux Quinconces-L’espal, scène nationale du Mans. Pédagogue diplômée d’Etat, elle travaille en particulier avec deux groupes de danseuses et danseurs amateurs Les cheminants en Bourgogne et La Parallèle au Mans.

Brigitte Asselineau

POUR VOUS, C’EST QUOI DANSER ?

Je ne me sens jamais autant vivante que quand je danse. Depuis l’enfance je suis traversée par une sensation d’être reliée à mon intériorité. Je trouve tellement passionnant de travailler, d’interpréter un sujet, d’aller puiser en moi pour plonger dans l’inconnu. Le plaisir aussi de construire un imaginaire, de découvrir des écritures, des demandes spécifiques qui offrent un déploiement de possibles. La danse m’a donné la parole, grâce à elle, j’ai le sentiment de m’exprimer mieux, de manière plus juste. J’imagine que c’est la même chose dans les autres arts. J’aime aussi la transmission lorsque je chorégraphie avec des danseuses et des danseurs amateurs. Je travaille dans une volonté de rassembler, de tisser des parentés, de trouver des cohérences à un moment donné.

QUELLES SONT LES NOTIONS ESSENTIELLES EN DANSE ?

Je distinguerais trois fondamentaux. Le corps évidemment, avec ses trois « couches » qui le constituent : le squelette comme fondation première, la chair et sa matière musculaire et la peau qui nous sépare et nous relie à la fois avec l’air, l’extérieur, autrui… Ce qui va être intéressant en danse c’est de percevoir, de travailler comment ça bouge, les moteurs du mouvement. Est-ce que c’est un mouvement global dans une densité similaire pour tout le corps ou au contraire dissociatif ? Se demander d’où part tel mouvement, avec quelle énergie, combien de force je mets dedans. Quel rapport j’entretiens avec l’attraction terrestre et donc quelle relation j’ai avec le sol ? Comment je respire aussi. D’autre part, il y a la notion d’espace : intérieur, périphérique, extérieur. On peut jouer à imaginer des matières diverses : et si l’espace était mou, sec, pétillant… C’est un travail géométrique avec des notions de lignes, de formes, de volumes réels ou imaginaires. Et enfin la notion de temps et ses différents paramètres : la durée, le tempo, le rythme. Comment j’accélère, je décélère, je le suspens jusqu’à une immobilité active. Ces paramètres constituent une musicalité du geste. Ces innombrables possibles attisent un désir d’expérimentations et de découvertes.

“Comment je regarde l’autre, comment on se connecte”

EN QUOI CONSTITUE-T-ELLE UN LANGAGE ?

Il existe deux formes d’écriture en danse. Celle de la composition qui fait appel à la mémorisation. Nous par-lons de « phrases chorégraphiques » qui sont constituées par l’agencement de gestuelles, de leur articulation et qui viennent développer une idée, un sujet. Mais, contrairement à la danse classique, en danse contemporaine il n’y a pas de code préexistant : pas de sauts de chats ni de déboulés, il faut inventer son langage. Mais comme dans les autres arts, on peut reconnaître « la patte » d’un ou d’une chorégraphe. Il y a une autre forme d’écriture constituée par l’improvisation. Ce langage se construit en fonction du moment, à l’écoute de son intuition en fonction d’un sujet à traiter. Mais il ne s’agit pas de la représentation de quelque chose. Cela reste de l’ordre de l’éphémère. Je suis adepte du chemin, de cette écoute du moment, plutôt que d’une préméditation de ce qui va arriver. *

QUELLE EST L’IMPORTANCE DU REGARD ?

Il est d’abord un outil grâce au champ de vision qui permet de capter tout un ensemble d’informations en étant ouvert à l’espace, à ce qui nous entoure. Il nous permet d’être en connexion avec les autres, et donc de pouvoir s’affranchir de la musique comme repère. On travaille également la qualité des regards. Celui que l’on va pointer, désignant des endroits, des horizons, des personnes. Celui qui va tracer, qui dessine des lignes dans l’espace. Et puis il y a le regard sur autrui : comment je regarde l’autre, comment on se connecte, comment j’observe la danse, le mouvement, la fragilité, la force… D’une manière générale, je suis convaincue que pour percevoir et travailler toutes ces notions il faut laisser le temps, ne pas aller trop vite. D’autant que choisir seulement certains paramètres, c’est se priver d’expériences. La danse, c’est une gestuelle de création sur l’instant où tout est un inconnu à inventer.