Scientifiques en herbe

Mis à jour le 27.11.24

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Se questionner, faire des hypothèses, vérifier par l’expérience... Dès la maternelle, adopter les éléments de la démarche scientifique permet aux élèves d’apprendre à raisonner pour comprendre le monde qui les entoure.

Estelle Blanquet est spécialiste en didactique des sciences, est maîtresse de conférences à l’Inspe de Bordeaux. Ses travaux portent en partie sur l’initiation à la méthode scientifique dès l’école maternelle. Elle a publié en 2010 « Sciences à l'école, côté jardin, guide de l’enseignant », Ed. du Somnium.

Estelle Blanquet

“Les petits sont avides de découvertes”

POURQUOI EST-CE PERTINENT DE DÉBUTER LES SCIENCES DÈS L’ÉCOLE MATERNELLE ?

Plus tôt les élèves commencent à faire des sciences, meilleures sont les chances qu’ils s’approprient la démarche scientifique. Les petits sont avides de découvertes et, en les guidant, leurs enseignants peuvent élargir leurs questionnements et attiser leur envie d’aller plus loin. Ils peuvent les aider à s’approprier des premiers éléments de la démarche scientifique : par exemple, on ne peut pas affirmer une idée et son contraire (c’est un premier contact avec la logique), il faut changer son avis si celui-ci contredit des faits observés. À cet âge, il est intéressant d’associer sciences et littérature de jeunesse, l'apprentissage du langage et des sciences étant très complémentaires. Ainsi, l’album Plouf” fournit un support idéal pour développer à la fois le langage et une initiation aux bonnes pratiques scientifiques, la modélisation du puits favorisant la compréhension de l'histoire par les élèves, en plus de permettre de faire des sciences.

QUELLES DÉMARCHES POUR ENSEIGNER LES SCIENCES ?

L’enseignement des sciences vise un double apprentissage : des contenus et de la méthode scientifique. Cela peut se faire de façon magistrale, c’est rapide mais pas toujours efficace. Dire les choses directement, cela fonctionne quand les élèves n’ont pas de conceptions initiales qui agissent comme des obstacles à l’apprentissage et cela arrive. La démarche d’investigation est plus efficace pour changer les conceptions initiales erronées. Par ailleurs et c’est ce qui m’intéresse, elle permet aux élèves, quand elle est bien faite, de s’approprier des éléments de scientificité sur lesquels repose une bonne pratique scientifique. Lorsqu’un discours est contredit par les faits, on change son discours. Pour s’assurer de la fiabilité de son expérience, il faut tester sa reproductibilité et sa robustesse. Faire des sciences, c'est naviguer entre des formulations particulières et des formulations générales, des règles ; c'est aussi naviguer entre des représentations du monde et le monde physique lui-même. Par exemple, il est nécessaire d’identifier les paramètres pertinents de ceux qui ne le sont pas. Certains éléments ne sont pas utiles pour répondre à la question posée. Réitérer l’expérience en changeant délibérément un paramètre supposé inutile permet de vérifier que le résultat ne change pas. Si c’est effectivement le cas, les paramètres pertinents ont alors été identifiés comme pertinents. C’est une manière de tester la robustesse d’une expérience.

“Faire des sciences (…) c'est aussi naviguer entre des représentations du monde et le monde physique lui-même”

POURQUOI MULTIPLIER LES DÉCOUVERTES LIBRES OU GUIDÉES ?

À l'école maternelle, les élèves ont besoin de toucher, de tester, pour pouvoir ensuite approfondir leurs connaissances. Il faut donc leur laisser le temps de jouer pour accroître leur expérience d’autant que les manipulations sont de plus en plus rares à la maison. Manipuler du sable, des glaçons, jouer à transvaser, c’est aussi un moyen pour l’enseignant de mettre des mots avec les élèves sur ce qu’ils ressentent et observent, cela suscite des questions. Cela permet de s’assurer que les élèves bénéficient d’une expérience commune sur laquelle l'enseignant pourra s’appuyer pour enclencher une démarche scientifique.

QUELS OBSTACLES PEUVENT RENCONTRER LES PE ? COMMENT LES DÉPASSER ?

Les enseignants évoquent souvent des difficultés liées au matériel mais les vraies difficultés sont ailleurs. Le temps, tout d’abord, pour récupérer ce matériel, et surtout le manque de formation. La formation continue en sciences est quasi-inexistante et la formation initiale se résume à une trentaine d’heures au total avec de futurs enseignants souvent mal à l’aise dans les disciplines scientifiques. C’est largement insuffisant pour former à la démarche scientifique qui n’est pas simple à s'approprier et qui demande un travail en effectif réduit. En Espagne, les étudiants, rien que pour la maternelle, ont environ 120 heures de formation en sciences ! Il existe des ressources bien sûr : j’ai créé, par exemple, une quarantaine de séquences pour les débutants accessibles gratuitement en ligne, mais qui le sait ?