Santé au travail
Mis à jour le 27.11.24
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La santé au travail est une question mal connue à l’Éducation nationale. 69% des personnels ne connaissent pas leurs droits en matière de santé professionnelle et 88% estiment que la hiérarchie ne se préoccupe pas ou peu de leur santé et de leur bien-être (baromètre international I-BEST 2023).
Laurence Bergugnat est Professeur des Universités à l'Université de Bordeaux. Ses recherches portent sur le stress et le burn-out des enseignant·es ainsi que sur l’éducation-formation en santé au travail.
“Développer une culture de la prévention”
QU'ENTENDEZ-VOUS PAR VIVRE EN SANTÉ AU TRAVAIL ?
La santé, c’est la vie. Or, il y a des métiers, dont celui d’enseignant où on peut mourir du travail, c’est dramatique. Le ministère l’a reconnu en 2018 suite à 58 suicides. Dans les métiers de la relation, comme celui d’enseignant, le risque de burn-out est élevé, de 10 à 14% en début et fin de carrière. A l’inverse, vivre en santé au travail consiste à bénéficier de bonnes conditions de travail qui permettent de pouvoir agir en prévention et protection selon les risques et les dangers repérés dans son milieu professionnel. C’est être en capacité d’adopter des comportements de préservation de soi, tant au niveau corporel que psychique, et en épargnant sa vie privée. Ce sont aussi des actions collectives pour faire face à de nouvelles contraintes, comme une forte intensité émotionnelle du fait qu’aujourd’hui l’atteinte aux corps est devenue probable, la solitude étant le pire des maux. Enfin, il y a trois déterminants majeurs de santé au travail : la formation des enseignants et des cadres, avoir le contrôle sur son travail et pouvoir s’appuyer sur une éthique appliquée.
VOUS PARLEZ D'UNE SANTÉ DÉGRADÉE. COMMENT CELA SE TRADUIT-IL ?
Le burn-out est une maladie impactant davantage les femmes que les hommes. Le tableau clinique du burn-out débute par un enthousiasme et un fort engagement, suivis d’une stagnation, puis d’une frustration conduisant à la dépression, d’autant plus forte dans le cas d’une surcharge de travail, de mauvaises conditions d’exercice, de violences ou harcèlements, d’un manque de soutien, d’un manque de reconnaissance entraînant un stress chronique. La fin du processus se caractérise par un comportement de dépersonnalisation de la relation de l’enseignant à l’élève, pouvant conduire jusqu’au suicide.
“Bien vieillir au travail est une priorité”
QUE PENSEZ-VOUS DU PLAN SANTÉ ?
Le nouveau plan santé doit s’inscrire dans une politique de santé efficace, en améliorant les conditions de travail pour une qualité de vie au travail. Des éléments du plan santé sont pertinents. Par exemple, le congé d’invalidité temporaire imputable au service est une innovation d’importance. L’objectif majeur doit être de développer une culture de la prévention par l’évaluation des risques, la formation, et notamment la prévention de l’usure du fait que la population vieillissante augmentera dans les années à venir. De ce fait, bien vieillir au travail est une priorité. Le dialogue social étant affiché dans ce plan, il conviendrait de définir une organisation du dialogue en intégrant tous les travailleurs et travailleuses. Reste à définir une politique d’emploi et de recrutement, notamment de médecins de prévention et d’ingénieurs santé et sécurité au travail, pour traiter en priorité et en profondeur les risques psychosociaux, en nombre dans le 1er degré.
QU'EST-CE QUI REMONTE DES TÉMOIGNAGES DE PE ?
À la lecture des fiches individuelles du comité F3SCT*, on peut juger sans exagération que l’heure est grave. Les signalements relèvent majoritairement d’une violence exacerbée, celle des parents (course poursuite en voiture de l’enseignante), comme d’élèves (attaque du corps de l'enseignant avec blessure et saignement). Le manque de moyens pour accueillir tous les élèves, ainsi qu’un manque de soutien de la hiérarchie. Ces fiches ne seront pertinentes que si elles sont mises en discussion collégiale dans un but de définir des objectifs, une nouvelle organisation du travail, des contenus de formations en santé au travail, et enfin de définir une éthique à appliquer dans toutes circonstances à risques. La F3SCT doit servir à développer le pouvoir d’agir : connaissances, prises de conscience de sa santé au travail, analyse des risques et du milieu capacitant ou pas, et ce, pour définir les actions à mener. Pour l'instant, l’approche semble être statistique et administrative. Il conviendra alors d’organiser un plan de promotion et prévention de la santé et sécurité au travail adapté au milieu, en termes de soutien aux enseignants et de formation émancipatoire (degré de maîtrise de son travail, pouvoir d’agir, milieu capacitant...).
* Formation spécialisée en matière de santé, sécurité et conditions de travail