Requestionner l'enseignement de la langue

Mis à jour le 26.11.24

min de lecture

Mieux articuler l’enseignement de la langue avec ce qu’on en attend. “À quoi sert concrètement la notion que je suis en train d’enseigner?”, “Qu’est-ce que j’en attends dans les futures performances de lecture, d’écriture, de compréhension des élèves?”. Des questions à se poser et des notions à mettre en relation pour donner du sens à l'étude de la langue.

Morgane Beaumanoir-Secq est docteure en sciences du langage, maîtresse de conférence en sciences de l’éducation et de la formation à l’Université Paris Cité

“Mieux articuler l’enseignement de la langue avec ce qu’on en attend”

EN QUOI LA RECHERCHE REA-LANG, À LAQUELLE VOUS AVEZ PARTICIPÉ, REQUESTIONNE L’ENSEIGNEMENT DE LA LANGUE ?

Cela questionne les attentes des programmes par rapport à la notion de conceptualisation des adjectifs et des verbes étant donné que les performances des élèves sont en-deçà des attentes institutionnelles. Si une grande majorité d’élèves ne parvient pas à être au niveau de ces attentes, c’est qu’elles ne sont pas posées au bon endroit. Des discours sont tenus en grammaire, les élèves les retiennent mais il n’y a pas forcément de réelle compréhension de ces discours. C'est-à-dire que cela n’aboutit pas à des procédures d’identification, ce qui est particulièrement frappant dans le cas de l’adjectif. D’autres recherches montrent que les performances des élèves en orthographe, leurs capacités à identifier les classes de mots et à les définir, sont aussi assez décorrélées de la maîtrise du lire-écrire.

COMMENT RENDRE L’ÉTUDE DE LA LANGUE PLUS EFFICIENTE ?

Il faudrait mieux articuler l’enseignement de la langue avec ce qu’on en attend. Nous sommes dans un cadre où l’étude de la langue est mise au service de la maîtrise du lire-écrire-parler. Se poser les questions : “À quoi sert concrètement la notion que je suis en train d’enseigner?”, “Qu’est-ce que j’en attends dans les futures performances de lecture, d’écriture, de compréhension des élèves?”. Par exemple, j’enseigne les compléments circonstanciels parce que j’espère que les élèves vont réussir à en insérer dans leur rédaction. La façon d’enseigner va être modelée par cet objectif. À l’inverse, si j’enseigne une notion mais que je ne sais pas ce que j’en attends, il y a fort peu de probabilités que les élèves produisent un transfert pour améliorer leurs écrits.

VOUS SUGGÉREZ DE PRIORISER CERTAINES NOTIONS, POURQUOI?

Le premier axe est que la notion doit être “rentable” du point de vue du lire-écrire-parler. Des notions en grammaire, qui vont permettre aux élèves de mieux comprendre les textes ou de mieux s’exprimer. Par exemple, la notion de synonyme est intéressante dans le cadre de la production d’écrit parce qu’elle permet un meilleur enrichissement de la chaîne de désignation d’un personnage. La notion de chaîne anaphorique, reprise par les pronoms, les synonymes, permet d’enrichir les textes mais aussi d'accéder à une meilleure compréhension. Le deuxième axe est de rendre compte du système de la langue, de montrer que la langue est structurée. Pour cela, il est nécessaire de mettre les notions en relation les unes avec les autres, de discuter de comment les notions s’articulent les unes avec les autres, d’identifier les différences, les régularités.

“Ce qui importe, ce sont les verbalisations des élèves, c’est-à-dire les justifications qu’on leur demande”

DES EXEMPLES CONCRETS D’ACTIVITÉS FAVORISANT LES APPRENTISSAGES ?

Ce qui importe, ce sont les verbalisations des élèves, c'est-à-dire les justifications qu’on leur demande. De parler, au sens d’expliciter : “Comment on sait que tel mot est un adjectif ?”, “Comment on a fait pour procéder à tel ou tel accord en orthographe?”. Plus globalement, c’est la question de comment les enseignants vont interagir avec leurs élèves pour solliciter ces verbalisations autour du fonctionnement de la langue. Le nœud du problème est dans le rapport des élèves avec la langue, très en lien avec le rapport de l’enseignant avec la langue. Un enseignant, qui n’est pas à l’aise avec le fonctionnement de la langue, va avoir tendance à verrouiller énormément les échanges, à avoir l’impression de se mettre en danger en sollicitant trop l’opinion des élèves et donc à ne pas rentrer dans des verbalisations. L'activité de tri de mots à visée grammaticale, par exemple, permet de mettre en système les différentes classes grammaticales de mots en contexte. Elle vise la question des classes de mots variables : nom, déterminant, adjectif, verbe, pronom. Mais ces types de dispositifs ne se suffisent pas à eux-mêmes. Pour que les enseignants parviennent à modifier leurs pratiques, il est nécessaire et urgent qu’ils bénéficient de formation de qualité.