Public vs privé

Mis à jour le 28.11.24

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La loi Debré votée en 1959, permettant à l’enseignement privé de bénéficier d’un financement par l’État à hauteur de 73 %, est toujours en vigueur 60 ans après. Depuis, les inégalités avec le public ne cessent de s’amplifier.

Fabienne Fédérini est docteure en sociologie, spécialiste des questions relatives aux territoires et quartiers prioritaires. Elle a publié en 2023 « Enseignement privé : un séparatisme social qui ne dit pas son nom » dans la Revue A.O.C.

Fabienne Federini

“Le privé scolarise beaucoup moins que le public les élèves en grande difficulté”

EN QUOI CONSISTE LE SÉPARATISME SCOLAIRE ?

Le système éducatif est constitué de deux pôles ségrégués socialement : 20% des collégiens sont scolarisés dans l'enseignement privé et 20% le sont en éducation prioritaire. Ainsi, alors que les cadres et professions intellectuelles supérieures représentent 22,4% de la structure sociale, l’enseignement privé scolarise 54% d’enfants issus de ces familles. À l’autre extrémité, 60% des élèves scolarisés en éducation prioritaire sont issus de familles d’ouvriers et d’inactifs alors qu’elles représentent 32,7% de la structure sociale. Depuis 1989, les écarts dans la composition sociale des collèges entre public et privé se renforcent. Il convient d’ajouter que la “ségrégation” dans les établissements privés est choisie quand elle est subie dans le public, notamment en éducation prioritaire.

COMMENT SE TRADUIT CE SÉPARATISME ?

Une différence d’offre scolaire existe entre les établissements qui rivalisent avec des options rares, des classes internationales ou autres classes à horaire aménagé pour attirer les meilleurs élèves d’une classe d’âge, y compris dans le public, et d’autres établissements notamment en éducation prioritaire qui, eux, concentrent les dispositifs de prise en charge des élèves à besoin éducatif particulier. Alors qu’un collège sur deux en Rep+ a une Segpa, ils ne sont qu’un sur vingt dans le privé. De même si 63,5% des collèges en Rep+ disposent d’une Ulis, il n’y en a que 18,8% dans le privé. L’enseignement privé scolarise donc beaucoup moins que le public les élèves en grande difficulté scolaire ou ayant un handicap.

“Est-on prêt à transformer l’organisation scolaire actuelle ou tient-on à préserver les intérêts particuliers des catégories socio-professionnelles les plus favorisées ? ”

QUEL RÔLE JOUE L’ÉTAT ?

Depuis 1959, il joue un rôle actif dans l’attractivité sociale et scolaire du privé. Alors qu’il prend en charge le salaire des personnels enseignants et de vie scolaire du privé, il ne lui impose aucune autre obligation de service public que celle de l'aider à scolariser une classe d'âge, de 3 à 16 ans. Lorsqu’en 1963, la gestion des flux d’élèves amène une obligation de planification avec la mise en place d’une sectorisation, le privé, pourtant collaborateur de service public, en est exempté. Il a ainsi le droit de sélectionner ses élèves sur dossier, ce qui lui permet de choisir de « bons » élèves. Quand 8,8% des élèves arrivent avec un an de retard en 6e en Rep+, ils ne sont que 2,8% dans le privé. Quand le public a l’obligation d’un accueil universel des élèves, y compris de ceux exclus du privé, le privé en est délié. Enfin, l’enseignement privé perçoit les mêmes dotations par élève que l’enseignement public alors qu’il n’est pas soumis aux obligations de service public, ni ne scolarise les mêmes élèves. Les dotations supplémentaires de l’éducation prioritaire sont prises en compte dans le calcul pour le privé, alors que ce dernier ne concentre ni la difficulté sociale ni la difficulté scolaire.

QUE DEVRAIT FAIRE L’ÉTAT ?

Le système éducatif doit être piloté dans sa globalité et pas à coup de mesures ou de dispositifs éparpillés. Mais lutter contre les inégalités sociales devant l’école nécessite d’être d’accord sur ce que cela veut dire. Veut-on une politique de justice sociale qui permette à tous les élèves d’accéder à la même culture dans un but de démocratisation ou une politique d’égalité des chances qui entend sélectionner les meilleurs élèves des milieux populaires ? Est-on prêt à transformer l’organisation scolaire actuelle ou tient-on à préserver les intérêts particuliers des catégories socio-professionnelles les plus favorisées ? Observer d’autres systèmes éducatifs permet aussi de faire avancer la réflexion. Ainsi, le système éducatif sué-dois s’est affaibli au fur et à mesure que l’enseignement privé prenait du poids et s’autonomisait, augmentant la fuite du secteur public et le creusement des inégalités scolaires. Le système finlandais, lui, a fait un choix différent en arrêtant le financement du privé par les fonds publics, un des facteurs expliquant sans doute sa bonne performance. Mais cela a demandé de construire un cadre et un consensus social et politique forts, ce dont a besoin la France.