Littérature de jeunesse : Grandir en liberté
Mis à jour le 26.11.25
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Édité pour la première fois en 2002, La littérature dès l’alphabet affirmait le principe selon lequel apprendre à lire à l’école c’est bien plus que savoir coder et décoder, que dès les premiers apprentissages il est possible et même nécessaire de contribuer au développement de l'imaginaire, de la sensibilité, de l'intelligence, et des facultés d'expression des enfants devenant élèves. Cet ouvrage de référence sans lequel la littérature de jeunesse s'occuperait peut-être pas de la place qui est la sienne aujourd’hui à l’école vient d’être réédité pour redire, dans un rapport à l’écrit qui a considérablement évolué depuis plus de vingt ans, que lire c’est grandir en liberté.
Henriette Zoughebi a fait toute sa carrière professionnelle en Seine-Saint-Denis, d’abord en tant que bibliothécaire, puis en tant que directrice-fondatrice du Salon du livre de jeunesse de Montreuil qui, au fil des années, est devenu le salon littérature jeunesse le plus fréquenté au monde. Conseillère pour le Livre et la Littérature du ministre Jack Lang, elle a œuvré pour l'entrée de la littérature de jeunesse dans les programmes scolaires en 2002. Elle a dirigé plusieurs ouvrages, dont le Guide européen du livre jeunesse et le Panorama de l’illustration du livre jeunesse français ( Cercle de la librairie, 1994 et 1996 ) et La littérature dès l’alphabet ( Gallimard, 2002, 2025 )
©Hidalgo/Naja
POURQUOI UNE RÉÉDITION AUJOURD'HUI DE LITTÉRATURE DÈS L’ALPHABET ? QU’APPORTE-T-ELLE DE NOUVEAU ?
La première édition date de 2002, elle est issue d’un travail réalisé avec le cabinet ministériel Jack Lang et le centre national de documentation pédagogique. Nous avons engagé tout un travail avec les professionnels pour défendre l’idée qu’il fallait alimenter les enfants dès le plus jeune âge avec la diversité des livres de jeunesse dans les bibliothèques, les centres de documentation. À l’école, la littérature de jeunesse est alors entrée dans les programmes. Aujourd'hui, beaucoup de personnes parlent de ce qui contrarie la lecture, en particulier les écrans. Face à cela, il me semblait nécessaire et même indispensable à nouveau d’en parler en « pour », redire ce qu'apporte la littérature de jeunesse aux enfants mais aussi la littérature tout court à chaque individu.
COMMENT AVEZ-VOUS TRAVAILLÉ ?
Ce livre a été conçu avec Gallimard-Jeunesse pour qu’il soit facile à prendre en main et lu en fonction des questions que l'on se pose. Une quinzaine d’auteurs, illustrateurs, poètes, scientifiques et pédagogues disent leur attachement à la littérature au travers de témoignages, souvenirs de lecture, expériences ou savoirs. J’ai souhaité conserver ce que la première édition avait de précieux, c’est-à-dire la présence d’auteurs de littérature générale comme Florence Delay, comédienne et écrivaine. J’ai demandé à Marie Desplechin de participer à cette deuxième édition car je la considère comme une des écrivaines les plus importantes aujourd'hui en littérature de jeunesse, elle a une vraie vision sur le monde. Une autre nouveauté est la présence du point de vue du syndicat enseignant, la FSU-SNUipp, sur ce que disent les nouveaux programmes par rapport à la littérature de jeunesse avec l’article de Rachel Schneider. C’est aussi un éclairage sur comment travailler la littérature de jeunesse dans une classe, y compris avec les plus jeunes.
“La littérature permet une construction de soi”
QU’EST-CE QUE LA LITTÉRATURE JEUNESSE APPORTE AUX ENFANTS ?
La littérature permet une construction de soi, ce qui est un élément fondamental quand on parle d'enfance. Elle offre un regard sur le monde et apporte le récit dont chacun et chacune d’entre nous a besoin pour se construire. Dans ce monde où tout va vite, prendre le temps de lire, d'imaginer à travers les mots et les illustrations ce qu’offre une histoire est quelque chose de formidable. Dans la littérature de jeunesse, comme dans toute littérature, on retrouve notre expérience humaine, ce qui permet de nous penser en rêvant à un avenir. Et aujourd'hui, plus que jamais, c'est important pour imaginer un autre monde, pour changer les choses mais aussi pour que chacune, chacun invente sa propre histoire et qu’au fur et à mesure des livres, il ou elle se transforme. La littérature jeunesse est aussi une belle manière d'entrer dans la langue. Elle permet de construire un rapport à la langue, aux mots, à la structure de la langue française.
DANS L’OUVRAGE, VOUS AVEZ CHOISI DE TRAITER DES VIOLENCES FAITES AUX ENFANTS, POURQUOI ?
La littérature pour penser les violences sexuelles faites aux enfants est un travail qui m’a été demandé par le juge Édouard Durand, ancien président de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise – NDLR). 160 000 enfants sont victimes d'inceste chaque année, ce qui revient à dire que dans chaque classe, un, deux, ou trois enfants sont concernés. Les personnels de l’éducation dont les enseignants jouent donc un rôle capital dans l'accueil de la parole de l’enfant. Les contes s'avèrent être des ressources précieuses et ouvrent des pistes de travail pour tous les professionnels en contact avec les enfants. Le conte de Peau d'Âne, par exemple, permet de mettre en garde contre l'inceste mais surtout donne à voir que l’héroïne fait appel à une personne de confiance, sa marraine la fée, aborde donc l'idée qu'il ne faut jamais rester seul quand on subit une violence ou qu’il y a un risque de violence. Dans La Belle et la Bête, c'est la question du consentement : on a le droit de dire non !
“La lecture à voix haute est un don que fait l’adulte à l’enfant”
DANS UNE SOCIÉTÉ OÙ LES TEMPS D’ÉCRAN EXPLOSENT, LA LITTÉRATURE JEUNESSE A-T-ELLE TOUTE SA PLACE ?
Plus que jamais. Quand les enfants entendent la langue du récit, qui n'est pas la même que la langue employée au quotidien, celle-ci les enveloppe. Très souvent, l'enfant vient se lover dans vos bras ou s’installe sur vos genoux. Il sent que ce que vous lui offrez est quelque chose de différent, qui fait appel à son imagination, à son intériorité et lui permet de penser cette histoire avec sa propre expérience. Il va retenir une phrase, un mot, une sensation qui lui permettront de se situer un peu différemment par rapport au monde, d'être touché dans son intimité. La lecture à voix haute est un don que fait l’adulte à l’enfant. Une relation qui n’est pas comparable avec celle qu'ont les enfants avec les écrans où trop souvent ils se retrouvent être des proies.
VOUS AVEZ FONDÉ EN 1984 LE SALON DU LIVRE JEUNESSE, DE-VENU SALON DU LIVRE ET DE LA PRESSE JEUNESSE DE MONTREUIL, COMMENT SE PORTE LA LITTÉRATURE JEUNESSE AUJOURD’HUI ?
Lorsque nous avons fondé le Salon du livre jeunesse, nous avons fait un double pari : celui de promouvoir la littérature de jeunesse, c'est-à -dire de donner à voir toute la production et de promouvoir ce que nous pensions être le meilleur et, celui de permettre à nos enfants de notre banlieue populaire de Seine-Saint-Denis d'en être les premiers invités. À cette époque, il y avait une grande éclosion du livre de jeunesse, le développement de beaucoup de petites maisons d'édition, une poussée en avant d’artistes, d'écrivains et écrivaines qui avaient cette passion chevillée au corps. Aujourd'hui plus qu’hier, avec la concentration des maisons d'édition, la littérature de jeunesse se retrouve divisée en deux. D’un côté des livres faits pour les rayonnages de supermarchés ou les librairies générales et de l’autre des livres de création. Se pose la question du choix et de comment faire découvrir une pluralité de livres à un maximum d’enfants.
QU’EST-CE QUI PLAÎT AUX ENFANTS ?
Il faut distinguer ce qui plaît spontanément aux enfants de ce qui leur plaît une fois qu’on a cheminé avec eux. Sans accompagnement, les enfants vont vers les livres qu’ils connaissent déjà, des choix qui sont en lien avec le poids des maisons d’édition. Le travail des bibliothécaires et des enseignants est de proposer d’autres livres, d’inviter les enfants à aller vers l’inconnu. Un inconnu qui surprend, interpelle, émeut. Un inconnu qui aide à se construire et à s’émanciper.