Lire un documentaire, ça s'enseigne

Mis à jour le 27.11.24

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Savoir lire un texte documentaire ne va pas de soi et requiert des compétences qui doivent être enseignées de manière spécifique. Des outils peuvent aider les PE à prendre en charge cet enseignement

Juliette Renaud est maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation à l’université d’Orléans.

Juliette Renaud

“Ce que je cherche, ce que je sélectionne, ce que j’en déduis”

QUELLE EST LA SITUATION DE L’ENSEIGNEMENT DE LA LECTURE DOCUMENTAIRE ?

En 2023, la parution des résultats des élèves de CM1 aux évaluations internationales Pirls, a montré des scores très faibles pour les compétences relatives aux textes documentaires : prélever, inférer, interpréter et apprécier. Plusieurs explications à ces difficultés : il est difficile de traduire l’objectif des programmes « Contrôler sa compréhension et devenir un lecteur autonome » en scénario d’enseignement d’apprentissage, aussi, les PE ne sont pas outillés pour le faire. Les documentaires souvent présents dans les bibliothèques au fond des classes sont rarement étudiés en tant que tels. En effet, l’omniprésence des documentaires en sciences, en histoire, en géographie donne l’illusion qu’ils sont travaillés mais si on les utilise pour accéder aux connaissances qu’ils véhiculent, on ne les étudie pas en français, avec l’objectif d’enseigner des stratégies de lecture spécifiques.

QUELLES COMPÉTENCES SONT REQUISES POUR LES ÉLÈVES ?

Un texte documentaire ne se lit pas comme un roman. Il faut amener les élèves à décrire la structure du texte, à dire ce qu’ils voient, avant même de lire : les indices comme le sommaire, le titre, les sous-titres. Les élèves doivent apprendre à en tirer parti pour lire stratégiquement. Extraire des informations est difficile et la présence de mots issus d’un lexique spécifique complexifie cette lecture. Cela peut conduire des élèves à abandonner la lecture et à se fier à leurs connaissances personnelles. Il faut justement amener les élèves à comparer ce qu’ils ont lu avec les faits qu’ils ont vécu ou les connaissances qu’ils pensent avoir. En d’autres termes, comparer ce que l’on croit avec ce que l’on apprend. Nous proposons une démarche de compréhension : « ce que je cherche, ce que je sélectionne, ce que j’en déduis », c’est-à-dire mobiliser ses connaissances face à une intention de lecture, s’en servir pour choisir quoi sélectionner ou mettre de côté, puis faire des liens, des déductions et voir si cela correspond à ce qui est cherché.

“Les documentaires souvent présents dans les bibliothèques au fond des classes sont rarement étudiés en tant que tels ”

COMMENT METTRE EN ŒUVRE CET ENSEIGNEMENT ?

J. R. : Nous avons réfléchi à un outil qui allierait enseignement et auto-formation. Notre objectif est d’aider les PE à apprendre aux élèves à lire un texte documentaire mais aussi à rendre visibles les principes didactiques et pédagogiques de cet enseignement pour que l’enseignant puisse ensuite les transposer lorsqu’il étudie des textes documentaires en histoire, géographie ou sciences. Nous avons choisi d’étudier ce qui est commun dans ces différents textes. Deux modules de l’ouvrage proposent l’analyse d’encyclopédies papier et en ligne car on y retrouve tous les organisateurs textuels des documentaires. Le troisième module traite de la prise de note. Le quatrième permet de transférer toutes les compétences travaillées en traitant de la préparation d’exposés. Il faut, en effet, savoir lire un documentaire mais aussi rédiger une explication ou savoir expliquer à l’oral. La lecture n’est pas une fin en soi, elle est au service de l’explication écrite et orale.

COMMENT AVEZ-VOUS CONÇU VOTRE OUVRAGE ?

Dans la continuité des travaux de Sylvie Cèbe et Roland Goigoux* sur la compréhension en lecture, nous avons élaboré cet outil dans une démarche de conception continuée dans l’usage. Après avoir constitué des revues de littérature sur les difficultés des élèves en lecture documentaire, les pratiques ordinaires des enseignants et les pratiques dites « efficaces », nous avons mis au point un premier prototype. Pendant plusieurs années, les prototypes se sont ensuite succédés dans des allers-retours incessants avec des « co-concepteurs ». De douze enseignantes en éducation prioritaire, ce groupe est monté à cent dans des écoles aux contextes différents pour tester la robustesse de l’outil. À chaque fois, les retours des PE ont permis de le faire évoluer. Enfin, il a été évalué auprès de 350 élèves pour s’assurer qu’il permet à tous les élèves de progresser.
*Co-auteurs de Lector & Lectrix, Lectorino & Lectorinette ou Narramus.