“Les stéréotypes, pointe émergée d’un mécanisme plus profond”
Mis à jour le 18.11.25
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Les violences et cyberviolences à caractère sexiste existent dès l’école primaire. Elles sont le reflet d’une société reposant sur des normes qui imposent des comportements genrés. Le travail de prévention dans les écoles passe entre autres par l’éducation à l’égalité fille-garçon avec l’aide experte de partenaires associatifs.
Sigolène Couchot-Schiex est professeure en sciences de l’éducation à Cergy Paris Université. Depuis 2015, ses recherches explorent les violences à caractère sexiste et sexuel dans le périmètre scolaire, au croisement des cyberviolences qui amplifient ce phénomène de la jeunesse.
©Hidalgo/Naja
VOUS PARLEZ DE VIOLENCES SEXISTES ET HOMOPHOBES À L’ÉCOLE PRIMAIRE. DE QUOI S’AGIT-IL ?
Il s’agit de micro-victimations qui ramènent les victimes aux normes genrées attendues et se traduisent par des remarques, sur la tenue vestimentaire par exemple, des regards, des moqueries, des insultes, des comportements ostracisants ou discriminants. Ces faits rapportés par les élèves peuvent aller jusqu’aux coups, et exceptionnellement à des contraintes à caractère sexuel.
Selon notre enquête menée en 2023, les filles sont deux fois plus victimisées sur leur tenue vestimentaire, leur attitude et leur comportement que les garçons, ce qui montre la force du sexisme. Les garçons, eux, sont touchés par ce type de comportement en relation avec la sexualité, donc, l’homophobie. Par ailleurs, ces violences s’avèrent être plus nombreuses en primaire qu’au collège selon notre enquête.
QUELLES SONT LES SPÉCIFICITÉS DU CYBERHARCÈLEMENT À L’ÉCOLE ?
On parle de harcèlement quand les violences sont répétées sur la durée dans l’établissement, et de cyberharcèlement quand elles se poursuivent sur les réseaux sociaux. Il y a alors un entremêlement entre les violences intérieures et celles extérieures à l’école. Moqueries, insultes, menaces, sont diffusées en un temps très court à un grand nombre de personnes par le canal d’Internet. À ce phénomène de viralité s’ajoute celui d’anonymat qui ne permet pas toujours aux victimes d’identifier leurs agresseurs, qui sont souvent d’autres élèves, garçons ou filles.
Notre étude a révélé que plus de la moitié des élèves de CM sont munis d’un téléphone portable connecté qu’ils peuvent utiliser de manière personnelle. Or, les contrôles parentaux qui portent sur le paramétrage de l'appareil ou sur la consultation des activités de l’enfant sur son téléphone sont inexistants pour un tiers des familles. De plus, certains élèves possèdent des comptes sur les réseaux sociaux qui leur sont interdits du point de vue de leur âge. Cela concerne surtout les enfants qui ont des grands frères, des grandes sœurs ou des amis proches plus âgés qui les incitent à consulter des sites très attractifs mais peu adaptés à leur âge.
“C’est à l’âge de l’école primaire que la pression entre pairs est extrêmement forte”
D’OÙ VIENNENT CES VIOLENCES ?
Ces violences et cyberviolences à caractère sexiste relèvent d’un système de genre qui impose des attendus de socialisation en tant que fille ou en tant que garçon. Il faut alors se comporter selon les attendus du groupe auquel on est référé, se montrer différent de l’autre groupe de sexe, sachant que le groupe masculin est celui de référence. Le groupe de filles, c’est celui des autres, défini ainsi par défaut. Être reconnu comme garçon demande à se comporter comme un futur homme par exemple.
Ce processus de socialisation très présent à l’école explique la fréquence des évitements entre filles et garçons, mais aussi les violences homophobes envers des garçons taxés de « fillettes », de « pé-dés » qui, par leurs attitudes, sont suspectés de ne pas se démarquer suffisamment des filles. C’est à l’âge de l’école primaire que la pression entre pairs pour faire respecter ces normes est extrêmement forte car le processus d’identification a une place centrale. Le groupe fermé de la classe, pérenne sur une, voire plusieurs années scolaires, accentue cette injonction.
LE TRAVAIL SUR L’EMPATHIE, LES COMPÉTENCES PSYCHO SOCIALES SUFFISENT-ILS À PRÉVENIR CES VIOLENCES ?
De même que le travail sur les stéréotypes qui n’est que la pointe émergée d’un mécanisme plus profond, ce travail est nécessaire mais pas suffisant. Il faut surtout offrir un espace d’expression pour parler de ces violences, apprendre à les identifier et permettre d’en faire un état des lieux précis. Interroger collectivement son propre comportement au niveau de l’école et au-delà, permettra aux adultes de la communauté scolaire qui appartiennent eux aussi au système de genre, d’éviter de le reproduire par des comportements parfois sexistes. L’EVARS, en éduquant aux questions d’égalité fille-garçon, de sexualité, s’avère essentielle pour porter un contre-discours au processus de normalisation. La prévention passe aussi par l’éducation au numérique et aux médias.