“Les pratiques acquises sont des atouts pour la vie scolaire”

Mis à jour le 20.12.21

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Coopération : dérives et bénéfices

Yves Reuter professeur émérite à l’université de Lille et fondateur de l’équipe de recherche en didactiques Théodile qu’il a dirigé pendant plus de quinze ans. Ses travaux de recherche s’intéressent notamment à la pédagogie Freinet en milieu défavorisé.

Yves Reuter UDA 2021 ©Millerand-Naja

Qu'est-ce que la coopération ? 

Je vous propose la définition suivante, discutable comme toute définition : la coopération est un ensemble de pratiques et de dispositifs fondés sur des interactions entre au moins deux acteurs. Ces interactions sont bienveillantes et conçues pour faciliter l’entrée dans les apprentissages. Elles doivent être, autant que faire se peut, non hiérarchiques. La coopération est possible dans toute démarche pédagogique mais elle est centrale dans certaines pédagogies différentes, telles que les pédagogies « Freinet » ou de projet.

Quelles dérives possibles et donc à éviter ? 

Il existe des tas de dérives possibles. Par exemple, la coopération érigée en dogme, sans laisser de place aux compétitions entre élèves ou aux défis par rapport à soi. Il faut aussi éviter que les situations de coopération n’aient pas grand sens. Certaines tâches à accomplir sont plus compliquées à plusieurs et se prêtent mieux à un travail individuel ou encore en binôme, comme lors d’un travail fin sur ses problèmes d’orthographe. Dans cette optique, les projets peuvent motiver et donner sens à la coopération. Autre dérive : penser que la coopération « marche » tout de suite : la coopération est elle-même un objet d’apprentissage, les élèves doivent se l’approprier et les enseignants et enseignantes doivent se former à cette pédagogie. Comment composer des groupes, comment organiser la rotation des tâches, comment évaluer... sont autant de réflexions nécessaires pour pouvoir mettre en œuvre cette pédagogie. Les fonctionnements différents de la coopération selon les tâches et les disciplines sont aussi à penser. Autre piège, les angoisses du « bon » enseignant qui a tendance à vouloir tout contrôler alors que le principe même de la pédagogie de la coopération, c’est de ne pas être sur tous les élèves en même temps. Il faut accepter de lâcher prise, ce qui est loin d’être évident, voire douloureux pour certains et certaines.

En quoi cette pédagogie est-elle bénéfique aux apprentissages ? 

La coopération permet d’acquérir un mode d’apprentissage différent de l’enseignement magistral et de l’autodidaxie. Les pratiques ainsi acquises sont des atouts pour la vie scolaire future des élèves comme pour leur vie professionnelle. Les élèves subissent aussi moins de pression, sont moins stressés. Ils posent plus facilement des questions, n’ont pas peur de reconnaître qu’ils ne savent pas ou ne comprennent pas. Autre intérêt, la confiance en soi. Les élèves risquent moins de ressentir un sentiment « d’infériorité » s’ils sont moins en concurrence. Un enfant qui ne réussit pas peut aller vers ses pairs pour demander de l’aide. Et pour finir, même si ces bénéfices sont loin d’être exhaustifs, la coopération permet, très tôt, de se confronter à d’autres points de vue, facilitant ainsi la réflexivité. Les élèves apprennent encore qu’il n’existe pas de vérité absolue, que tous les points de vue sont audibles, qu’il faut argumenter une opinion et que l’autre n’est pas hostile s’il ne partage pas la même opinion.

En quoi est-elle bénéfique pour lutter contre les échecs socialement marqués ? 

Apprendre à l’école n’est pas forcément évident pour certains élèves. Enseigner à l’aide de pratiques coopératives permet de créer une communauté éducative. Entre les enseignants, d’une part. Lorsque les enseignants travaillent véritablement en équipe, les effets sont très intéressants sur la réussite des élèves. Avec les parents, d’autre part, même les plus éloignés de l’école. Une démarche de coopération peut contribuer à réduire la distance et certaines oppositions avec les familles. Les discours entendus à la maison et à l’école peuvent devenir moins hétérogènes et les élèves, moins coincés entre deux mondes, peuvent parfois échapper plus facilement aux conflits de loyauté. La coopération prend aussi appui sur des valeurs importantes pour les familles de milieu populaire : l’entraide, la solidarité... Si les enfants subissent moins de stress et d’oppression, cela contribue à la sécurisation, dimension essentielle à l’entrée dans les apprentissages, surtout pour les enfants de ces milieux. La grande pauvreté se caractérise notamment par l’absence de sécurisation. Avec la coopération, on ne rajoute pas de l’insécurité à l’insécurité. Au contraire, on sécurise.