Les maths ont la parole
Mis à jour le 27.11.24
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Les compétences langagières jouent un rôle différenciateur dans les apprentissages, notamment en mathématiques. Aussi, agir sur les pratiques de classe pour les rendre plus égalitaires commence par prendre conscience de ces enjeux langagiers.
Aurélie Chesnais est professeure des Universités, didacticienne des mathématiques, Laboratoire Interdisciplinaire de Recherches en Didactique, Education et Formation (Lirdef), Faculté d’éducation, Université de Montpellier. Elle a collaboré au réseau Recherches sur la Socialisation, l’Enseignement, les Inégalités et la Différenciation dans les Apprentissage (Reseida).
“Du langage verbal comme objet et moyen d’apprentissage”
QUEL CONSTAT FAITES-VOUS SUR L’APPRENTISSAGE DES MATHS ?
L’étude internationale Pisa 2022 montre que le système scolaire français génère des inégalités d’apprentissage en mathématiques et que les résultats des élèves sont fortement corrélés à leur origine socio-économique. En effet, un élève de milieu socio-économique défavorisé a 10 fois plus de risques qu'un élève issu de milieu favorisé de se retrouver parmi les élèves peu performants. Les études de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance montrent, par ailleurs, que ces inégalités s’accroissent au cours de l’école primaire.
COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS CES INÉGALITÉS ?
Au-delà d’une ségrégation scolaire qui accentue les inégalités de conditions de scolarisation, ce qui se passe à l’intérieur même des classes peut avoir un rôle dans la limitation ou l’accentuation de ces inégalités. En effet, les élèves sont différemment outillés du point de vue de leur rapport au savoir et au langage, au regard des compétences nécessaires à l’entrée dans les savoirs scolaires. Or, les mathématiques supposent des pratiques langagières bien spécifiques. Exposer un raisonnement dans une résolution de problèmes ou décrire une technique opératoire fait appel à des usages du langage inégalement maîtrisés par les élèves selon leur statut social. Les mathématiques utilisent également des formes linguistiques particulières qui entravent les apprentissages si elles ne sont pas prises en charge comme objets d'apprentissages en classe. Ces formes recouvrent le lexique avec des mots qui n’ont pas la même signification lorsqu’ils sont utilisés en dehors de l’école, mais surtout des formes syntaxiques qui peuvent aussi poser problème, au regard de la construction de phrases en général complexes et peu communes dans les usages courants. Ces difficultés existent à l’insu des PE et de l’institution scolaire en général. Prendre davantage en compte ces enjeux liés au langage en lien avec le sens des savoirs et des pratiques mathématiques peut contribuer à limiter les inégalités d’apprentissages.
“Les PE doivent être formés à développer des pratiques qui intègrent les enjeux langagiers”
LA MÉTHODE DE SINGAPOUR PRÉSENTE DANS LES PROJETS DE PROGRAMME EST-ELLE LA SOLUTION ?
En tant que tel, ce n’est pas le choix de manuels ou de méthodes qui fait la qualité de l’enseignement, c’est la pratique dans la classe. Par ailleurs, dans les projets de programmes, l’accent est mis sur des aspects techniques des mathématiques dès la maternelle, plutôt que sur les compétences langagières, le raisonnement, l’identification des savoirs. Cette approche représente un risque d’aggravation des inégalités d'apprentissage. Il y a un véritable enjeu de formation des PE pour qu'ils soient capables de mettre en œuvre des pratiques qui soient porteuses pour tous les élèves.
QUELLES PRATIQUES DÉVELOPPER AFIN DE RÉDUIRE CES INÉGALITÉS ?
Il faut faire prendre conscience du rôle fondamental du langage verbal à la fois comme objet et comme moyen d’apprentissage des mathématiques, notamment en éducation prioritaire. L’objectif est d’amener les élèves à construire ces compétences langagières en les faisant écrire et verbaliser lors des séances de mathématiques. Pour ce faire, les PE doivent être formés à développer des pratiques qui intègrent les enjeux langagiers, en les amenant à s’interroger systématiquement avant toute séance sur ce que cette activité va impliquer en termes de production et de réception langagière. Ils doivent prévoir des occasions de productions langagières qui aient du sens en lien avec les savoirs et les problèmes mathématiques, ainsi que les types de phrases qu’ils voudraient que les élèves soient capables de formuler à chaque étape de la séquence. L’important est que tous les élèves soient confrontés à cette exigence langagière à l’oral comme à l’écrit, qu’ils s’expriment sur leurs procédures de calcul, leur raisonnement, leurs résultats, mais aussi sur ce qu’ils ont appris en fin de séance. Au-delà de trouver la réponse à un exercice, l’enjeu est qu’ils comprennent ce qu’il y a à apprendre de leur activité mathématique et qu’ils accèdent à la conceptualisation, processus long et complexe.