“Les comportements enfantins m’inspirent”

Mis à jour le 26.11.25

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Édité pour la première fois en 2002, La littérature dès l’alphabet affirmait le principe selon lequel apprendre à lire à l’école c’est bien plus que savoir coder et décoder, que dès les premiers apprentissages il est possible et même nécessaire de contribuer au développement de l'imaginaire, de la sensibilité, de l'intelligence, et des facultés d'expression des enfants devenant élèves. Cet ouvrage de référence sans lequel la littérature de jeunesse s'occuperait peut-être pas de la place qui est la sienne aujourd’hui à l’école vient d’être réédité pour redire, dans un rapport à l’écrit qui a considérablement évolué depuis plus de vingt ans, que lire c’est grandir en liberté.

Marie Desplechin est journaliste et écrivaine, elle écrit depuis près de trente ans des histoires tendres, drôles, inquiétantes ou magiques. Elle explore différentes veines littéraires: le roman historique avec Les Filles du siècle: Satin grenadine, Séraphine et Capucine ; le roman à plusieurs voix, où se côtoient fantastique et réalité contemporaine, avec Verte, Pome et Mauve; la fantasy et l’étrange avec Le Monde de Joseph et Elie et Sam ; ou encore un manifeste comme Ne change jamais, destiné aux “citoyens en herbe”. En 2020, elle a reçu la Grande Ourse du Salon du livre et de la presse jeunesse, pour avoir “marqué durablement la littérature jeunesse”.

Marie Desplechin ©Hidalgo/Naja

COMMENT ÊTES-VOUS ARRIVÉE À L’ÉCRITURE POUR LA JEUNESSE ?

Je suis d'abord lectrice et j’avais envie d’écrire mais je ne savais pas quoi écrire, ni pour qui. À l’époque, Geneviève Brisac, qui est devenue l’éditrice de L’école des Loisirs, était traductrice de livres pour la jeunesse. C’est elle qui m’a incité à écrire pour les enfants. Une idée qui m’a tout de suite séduite car je me sentais assez à l'aise avec l'enfance et je savais à qui je m'adressais. L’enfance est un moment de la vie qui m'intéresse, me plaît, m'enthousiasme. Puis, j’avais peu de temps, je travaillais beaucoup, j’avais deux enfants à charge que j’élevais seule et je m'imaginais qu’écrire pour la jeunesse prendrait moins de temps !

QUEL THÈME ABORDEZ-VOUS DANS L’OUVRAGE “ LITTÉRATURE DÈS L’ALPHABET ”, QU’EST CE QUI A GUIDÉ CE CHOIX ?

Lorsque j’avais une dizaine d’années, j'étais une énorme lectrice et je lisais tout ce qui me passait sous la main. Trois livres, de la romancière Françoise d’Eaubonne, m’ont particulièrement séduite pour des raisons que j'avais du mal à identifier. Ses livres avaient une trame assez conventionnelle mais des héroïnes qui occupaient toute la place. Elles étaient géniales, elles avaient des épées, des pistolets et faisaient toute l'action du début jusqu'à la fin de l’histoire. Elles me renvoyaient une image que je ne pouvais retrouver nulle part ailleurs. Lorsque plus grande, j’ai découvert qui était Françoise d'Eaubonne, un personnage ahurissant, une très grande féministe, je me suis dit que ces livres m’avaient plus sûrement parce qu'ils avaient ça en eux. Mais je me suis rendu compte, que cette fabuleuse autrice le faisait de manière absolument inconsciente, qu’il n’y avait rien de militant.

QUEL ÉTAIT VOTRE RAPPORT À L’ÉCOLE ?

Mauvais, je savais lire et écrire avant d’aller à l'école, et du coup, ça a été une période d'ennui et d'injustice. C’était dans les années 60, j'étais sans arrêt punie, je regardais par la fenêtre et j'attendais que le monde explose. Puis en CM2, est arrivée une maîtresse qui pratiquait la méthode Freinet. Tout a été différent. Nous n’avions pas de devoirs, mais, en fait, on travaillait tout le temps seul ou en groupe et pour quelqu'un comme moi, c'était idéal. Ce CM2 a été merveilleux et m’a réconciliée avec l’école. Puis au collège, j’étais débarrassée de l'autorité toute puissante d'une seule personne à longueur de journée.

“Les héroïnes peuvent nous amener à expérimenter, à avoir d'autres attitudes, elles nous invitent à agir”

POURQUOI ABORDEZ-VOUS DANS VOS OUVRAGES DES QUESTIONS SOCIÉTALES COMME L'ÉCOLOGIE OU LE FÉMINISME ?

Parce que c'est ma vie, faite d’échanges avec ce qui vous entoure. Depuis que je suis petite, on m'a embêtée parce que j'étais une fille. Je n’avais pas le droit de porter de pantalon, je me faisais confisquer mes billes à l'école parce que soi-disant, c'était dangereux, etc. Le traitement différent entre les garçons et les filles était permanent et je trouvais cela terriblement injuste. Je ne savais pas que j'étais féministe, j'avais un mauvais caractère et j'en avais marre. Quand j’écris mes livres, je ne me dis pas “Tiens je vais écrire un livre sur le féminisme”, je raconte des histoires qui m'intéressent où une petite fille, qui doit être moi à 10 ans, est énervée parce qu'on lui marche sur les pieds. Pour l’écologie, c’est différent, j’ai choisi de traiter cette thématique mais pas de manière anxiogène. Là encore, les comportements enfantins m’inspirent comme celui de récupérer une boite à chaussure pour en faire autre chose ou de tout faire pour éviter de prendre une douche chaque jour.

QUEL POUVOIR ONT LES HÉROÏNES DE PAPIER ?

Elles ont un pouvoir énorme car nous sommes modélisés par les récits qui nous entourent que cela soit les récits politiques, romanesques, cinématographiques mais aussi musicaux. Les héroïnes peuvent nous amener à expérimenter, à avoir d'autres attitudes, elles nous invitent à agir. Elles permettent de pouvoir se rendre compte des choses, de s'identifier, d'être soi-même. Quand un livre plait, les lectrices et les lecteurs sont à la fois prêts à adhérer au livre mais ne sont pas dupes. Par exemple, quand les filles lisent de la "dark romance", des histoires dans lesquelles les femmes trouvent leur bonheur dans la soumis-sion, cela ne veut pas dire qu’elles le seront dans la vraie vie mais elles jouent avec le récit, avec tout ce que le sexe comporte de sentiments et de troubles avec lesquels il faut savoir jouer.