“Le droit aux soins est aussi important que le droit à l'enseignement”
Mis à jour le 25.11.25
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A l’heure où la santé mentale est déclarée “Grande cause nationale, de nombreuses études convergent vers une dégradation de l’état psychique des enfants et des adolescent•es. Toutes recommandent de miser sur la prévention et l’éducation.
Sébastien Ponnou est psychanalyste et professeur en sciences de l’éducation et de la formation à l’Université Paris 8. Il a co-écrit Le silence des symptômes. Enquête sur la santé mentale et le soin des enfants, Ed Champ social Editions.
©Hidalgo/Naja
QUAND VOUS PARLEZ DE SOUFFRANCE PSYCHIQUE À L'ÉCOLE, DE QUOI PARLEZ-VOUS ?
On peut distinguer deux modes de souffrance psychique : un mode lié à la forme scolaire elle-même et un mode davantage lié à ce qu’on appelle la psychopathologie, c’est-à-dire des maladies ou des diagnostics caractérisés. Au niveau scolaire, la pression de la note ou la recherche, de la performance, de la réussite scolaire associée à celle des devoirs sont sources de souffrance chez les enfants et parfois anxiogènes pour les familles. Du côté de la psychopathologie, la question de la souffrance mentale est infiniment complexe dans le cas de diagnostics psychiatriques, comme le trouble de déficit de l’attention (TDAH) ou l’autisme, avec des élèves pouvant développer des troubles du comportement et des apprentissages associés. Un champ de recherche et de pratique à part entière à l'école étudie ces types de souffrance psychique qui impliquent de repenser les modalités d'accompagnement et de transmission du savoir.
FACE À CETTE SOUFFRANCE, L'APPROCHE MÉDICALE ET MÉDICAMENTEUSE EST-ELLE LA SEULE RÉPONSE ?
Clairement non ! Il faut être très prudent sur la médicalisation de la question scolaire. Les consensus internationaux, en particulier en Europe et en France, recommandent la psychothérapie, l’éducation et l’intervention sociale comme solution première. Le médicament comme la ritaline par exemple, utilisé dans le cas du TDAH, peut être une option mais seulement en deuxième intention en cas d'échec des traitements de première intention et toujours en soutien du travail psycho-thérapeutique ou éducatif. Les études montrent des effets bénéfice/risque très modérés et peu de traitements sont autorisés et recommandés chez l'enfant et l'adolescent. Aucun médicament ne protège de l’échec scolaire. Les modèles et travaux anciens de médecins pédagogues tels que Montessori ou Decroly sur des enfants à « besoin éducatif particulier » souffrant dans leur corps et leurs pensées n’ont pas cherché de solution du côté du modèle biomédical, quel qu'il soit, mais du côté pédagogique.
QUE PEUVENT LES PRATIQUES PÉDAGOGIQUES DANS L'ACQUISITION DES SAVOIRS ?
C'est une question centrale parce qu’elle redonne la scène de l'école et de la classe aux enseignants. Des enfants ont des difficultés à se concentrer, d’autres en ont dans l’acquisition de la lecture ou des mathématiques. Face à cette problématique, l’enseignant devrait pouvoir d’abord réfléchir à sa pédagogie avant de penser au diagnostic de TDAH et à la médicalisation de la difficulté scolaire. Celle-ci est venue s'enraciner dans notre société, y compris dans la culture des enseignants. Or, Le comportement des enfants en classe appelle avant tout un diagnostic pédagogique qui permette de construire des remédiations pédagogiques. La plupart des grands pédagogues sont partis de l'enfant, de ses difficultés mais aussi de ses potentialités et de son propre rapport au savoir pour développer et inventer de nouveaux modes d'apprentissage comme les pédagogies nouvelles, collaboratives ou l'éducation populaire.
“Le travail en équipe pluriprofessionnelle est déterminant pour croiser et confronter les informations sur un enfant, les pratiques et les approches”
COMMENT FORMER LES ENSEIGNANTS À FAIRE FACE À LA DIVERSITÉ DES SITUATIONS ?
Il faut renforcer la formation initiale (autisme, TDAH, histoire de la pédagogie), les expériences par des stages en instituts ou auprès d’enseignants spécialisés qui peuvent contribuer à favoriser la posture critique des enseignants par une double entrée théorique et pratique. Dans le secteur médico-social, les professionnels réalisent des groupes d’analyse de pratique avec des temps de supervision et des temps de régulation. Il faut que les enseignants puissent de la même façon avoir des temps dédiés à l’analyse de leurs pratiques pour co-construire des pratiques complexes face à des situations complexes, exprimer leur ressenti, se distancier des situations de souffrance, d'impasse pour revenir en classe avec de nouveaux leviers pédagogiques.
LE COMPORTEMENT DE CERTAINS ÉLÈVES EN SOUFFRANCE PEUT-IL PRODUIRE DE LA SOUFFRANCE CHEZ LES PERSONNELS ET COMMENT EN SORTIR ?
C’est plus la question du manque de moyens que celle du comportement de l’élève qui génère de la souffrance, même si certains comportements déplacés peuvent heurter. Par exemple, l’accueil d’un enfant autiste dans une classe surchargée sans modalités adaptées de compensation et d’accessibilité, sans adultes en nombre suffisant est source de souffrance pour les élèves comme pour les enseignants. Dans ces conditions, ces derniers perdent sens du travail et de l’engagement. Pour y faire face et trouver des solutions, des leviers peuvent être activés tels que le travail en équipe pédagogique, son élargissement aux partenaires médico-sociaux, la création par les enseignants de nouvelles pratiques qui leur semblent les plus adaptées aux situations, les co-interventions innovantes avec les adultes présents en classe tels que les AESH…
DANS QUELLES CONDITIONS L'ÉCOLE INCLUSIVE APPORTE-T-ELLE DES SOLUTIONS ET COMMENT TRAVAILLER EN ÉQUIPE PLURIPROFESSIONNELLE ?
Le droit aux soins est aussi important que le droit à l'enseignement. L'inclusion a servi dans les années 2000 à réduire les coûts de santé en fermant des lieux de soins et laissant des enfants sans solution in fine et sans accompagnement dans les pratiques pédagogiques. Or, l’Etat a une obligation de moyens. L’école inclusive apporte des solutions si elle s'articule aux institutions médico-sociales et médicales. Le travail en équipe pluriprofessionnelle est déterminant pour croiser et confronter les informations sur un enfant, les pratiques et les approches, ce qui demande du temps formalisé et régulier dont manquent les équipes pédagogique et médicale. Mais des initiatives heureuses ont émergé, qui n’existaient pas il y a encore quelques années. J’ai pu observer des travailleurs sociaux ou des éducateurs spécialisés dans les écoles partageant avec les enseignants leurs savoirs et savoir-faire dans l’accueil des enfants à besoins éducatifs particuliers. L'école devient un terrain de l'intervention sociale et cela me semble un levier favorable et positif.