“La crise a mis en avant la professionnalité enseignante”

Mis à jour le 19.12.21

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L'impact du confinement sur le travail des enseignants. Leurs dilemmes, leurs difficultés. Continuité pédagogique et enseignement à distance.

Frédéric Grimaud est professeur des écoles et docteur en sciences de l’éducation. Il est chercheur pour le chantier travail du SNUipp-FSU conventionné avec l’Université Aix-Marseille dans l’équipe ADEF (Apprentissage, didactique, évaluation, formation) et plus particulièrement dans le programme CLAEF (Clinique des activités en éducation et en formation) dirigé par Frédéric Saujat.

Frédéric Grimaud UDA 2021 ©Millerand-Naja

Quel a été l'impact du confinement sur le travail enseignant ? 

L’enseignement à distance a impacté toutes les dimensions du métier, selon la catégorisation d’Yves Clot*. La dimension personnelle a été déstabilisée par l’explosion du temps de travail « hors la classe » qui a envahi le temps personnel. La dimension interpersonnelle a été bousculée dans la mesure où il a fallu organiser son métier d’enseignant non avec ses collègues mais dans un contexte familial complètement dynamité par le fait de répondre à toute heure à des SMS envoyés par des élèves. La dimension interpersonnelle, essentielle car elle définit la tâche à réaliser, a été synthétisée par la formule de « continuité pédagogique ». On peut souvent considérer floues, voire contradictoires, les prescriptions données aux PE. Ici, elles ont été particulièrement absentes, obligeant à suivre les déclarations télévisuelles du ministre. Enfin les codes, les gestes professionnels qui font l’histoire du métier en constituent la dimension transpersonnelle. Du jour au lendemain, les outils n’étaient plus les mêmes, brutalement remplacés par des plates-formes numériques... Même le recours aux photocopies a occasionné des procédures incroyables comme le transit par la boulangère pour éviter les contaminations ! La crise a mis en avant la professionnalité enseignante, la capacité des PE à surmonter les obstacles pour vraiment continuer à faire leur métier.

Comment les PE se sont appropriés les prescription de la continuité pédagogique ? 

Dans ma recherche, pourtant limitée au temps court du confinement, j’ai noté une évolution des propos des enseignants. Au début, les réactions étaient plutôt hostiles à cette notion considérée comme un oxymore car la pédagogie suppose la relation humaine adulte/enfant, impossible à incarner à travers un mail. La posture était de ne pas proposer de nouveaux apprentissages. Puis les PE ont été heurtés par un principe de réalité, le fait que les enfants et les familles continuent à être en demande d’apprentissages. Par exemple, la maîtresse de CP s’est donc refusée à rester sur le son « oin » pendant quatre semaines. Les enseignants ont exploré des pistes pour continuer à faire l’école. Au final, sans s’approprier la consigne mais sans la rejeter complètement non plus, ils ont fait autre chose, avec une forte variabilité individuelle.

A quels dilemmes ont été confrontés les PE ? 

Des dilemmes de valeur ont émergé immédiatement. Le fait de ne pouvoir s’adresser qu’à une seule partie des élèves, de ne pas pouvoir répondre aux besoins de tous les élèves ne fait pas partie de l’histoire du métier et n’était pas supportable sur le long terme. D’autres dilemmes ont concerné les choix d’applications numériques : utiliser les outils proposés par l’Éducation nationale, gratuits, des logiciels libres mais peu efficients ou payer pour des logiciels GAFAM ? Mais au fond, l’enseignement à distance a moins généré de dilemmes spécifiques qu’il n’a révélé de dilemmes professionnels ordinaires : comment corriger et annoter les copies d’élèves ? Continuer à avancer avec ceux qui ont compris ou reprendre avec l’ensemble du groupe ? En situation de production d’écrits, que faire si on s’aperçoit que la classe n’a pas compris l’implicite dans le texte de départ ? Sachant que les retours des élèves qui auraient été immédiats en classe sont différés d’une semaine, faut-il les laisser s’exprimer même hors sujet ou les ramener vers la consigne ?

Un exemple précis de pratique bousculée par l'enseignement à distance ? 

La lecture d’albums en maternelle a constitué une préoccupation importante chez plusieurs collègues concernées par la recherche, après que deux d’entre elles ont créé une chaine « Youtube » pour se filmer en train de lire des albums. Dans les échanges collectifs, les débats ont évolué de questions spécifiques au confinement -faut-il filmer l’album seul ou cadrer la maîtresse qui lit pour rétablir la dimension affective de la relation pédagogique?- vers des questions ordinaires de l’enseignement en maternelle : doit-on lire ou raconter, quitte à changer le texte ? Quelle place accordée aux illustrations au cours de la narration ? Les arbitrages aboutissent à des pratiques différentes, toutes professionnellement assumées. C’est en cela que les échanges provoqués par le chantier travail sont sources de développement professionnel. La confrontation des manières de faire avec les pairs permettent à celles et ceux qui font le travail de définir les critères du « travail bien fait ».