“L’enjeu de la construction d’un esprit critique”

Mis à jour le 25.11.25

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Décrypter, analyser l’information, comprendre comment elle est créée/reçue, faire preuve d’esprit critique, connaître les biais cognitifs… A l’heure où l’information est massive, rapide et truffée de fausses informations, la Ligue de l’enseignement apporte des réponses concrètes pour permettre aux élèves de devenir des citoyennes et des citoyens éclairés. “L’enjeu de la construction d’un esprit critique”

Sandrine Pellenz est secrétaire générale de la Ligue de l’enseignement en charge de l'éducation, du numérique et de la communication.

Sandrine Pellenz

NOUS SOMMES PASSÉS DE L’ÉDUCATION PAR LES MÉDIAS À L’ÉDUCATION AUX MÉDIAS, POUVEZ-VOUS NOUS EXPLIQUER CETTE ÉVOLUTION ?

L'éducation aux médias et à l'information est un axe important de la citoyenneté. Pendant de nombreuses années, il s’agissait de travailler autour de la maîtrise des médias traditionnels qu’étaient la presse écrite, la radiophonie et la télévision, voire l’audiovisuel dans son ensemble. On apprenait aux enfants à les utiliser, à comprendre comment ils fonctionnaient. Depuis plus de 20 ans, les médias se sont étendus à l'ensemble d’Internet. Non seulement l’information est diffusée par de nouveaux moyens techniques mais les réseaux sociaux sont devenus un média privilégié pour diffuser ou recevoir de l’information, un média sur lequel chacun, chacune peut agir, interagir. Sont donc apparues de nouvelles pratiques intellectuelles et sociales, une évolution particulièrement complexe à appréhender à laquelle l’éducation aux médias se devait de répondre.

VOUS PARLEZ DE GUERRE HYBRIDE DE L’INFORMATION, C'EST-À-DIRE ?

L'information est massive, dérégulée, en croissance exponentielle et circule extrêmement rapidement. La guerre hybride est l'idée qu'il y a des mécanismes, des personnes qui dérèglent l'information avec une intention. C’est une mainmise sur des médias de manière consciente pour manipuler l'opinion, déformer des faits ou faire consommer. Des algorithmes nous emmènent d’un produit à l’autre, d’une information à l’autre. Aujourd'hui, des enseignants sont confrontés à une remise en cause des faits scientifiques, à une information qui est détachée de la factualité. Des élèves ne font plus la différence entre des faits, des connaissances scientifiques, des croyances ou des opinions. Tout est mis sur le même plan. Comment distinguer tous ces éléments qui n'ont pas la même valeur ? Comment traiter l’information, comment évaluer la qualité de l'information ? Comment calibrer notre niveau de confiance pour se forger une opinion et prendre des décisions éclairées ?

“L'information est massive, dérégulée, en croissance exponentielle et circule extrêmement rapidement”

QUEL RÔLE DOIT JOUER L’ÉCOLE ?

C’est tout l’enjeu de la construction d'un esprit critique. Avoir un esprit critique, c’est à la fois maîtriser des compétences, trier de l'information, argumenter, identifier des preuves mais c’est aussi des dispositions : savoir nuancer, avoir de la curiosité, une ouverture d'esprit, de l'humilité, de l'honnêteté intellectuelle. Ces savoir-être sont tout aussi importants à travailler pour assurer le transfert des compétences au quotidien et faire vivre des valeurs. L'école a un rôle important à jouer pour travailler sur des parcours pédagogiques qui permettent de rétablir la factualité, de comprendre comment les faits sont décrits, d’analyser les sources, de trier l’information, de repérer les fake-news... Elle peut également travailler dès le plus jeune âge sur la démarche scientifique qui permet d’apprendre aux enfants à poser des hypothèses, à chercher à y répondre en argumentant, en trouvant des sources, des contenus, en vérifiant des faits pour pouvoir en tirer des conclusions. Une démarche qui sera transposable sur des sujets de société. C’est aussi apprendre à débattre dans des cadres sécurisés.

QUELS SONT LES DIFFÉRENTS MÉCANISMES DE L’ÉDUCATION À L’ESPRIT CRITIQUE QUE LES PE DOIVENT ABSOLUMENT INTÉGRER ?

Connaître et comprendre les mécanismes des biais cognitifs. Par exemple, le biais de confirmation qui fait qu’on ne retient que ce qui va dans notre sens, ce qui nous arrange. Le biais de l’empilement qui consiste à empiler des arguments peu solides qui font croire à une vérité. Le biais qui consiste à juger une personne ou une idée en fonction d’un seul aspect ou encore le raisonnement motivé où l’on cherche uniquement l’information qui va permettre de démontrer ce que l’on veut. Un ensemble d'attitudes, qui faussent notre jugement et jouent des tours à notre cerveau, qu’il est nécessaire de reconnaître pour déjouer les pièges de notre propre raisonnement. C’est aussi comprendre les mécanismes qui captent notre attention, détruisent peu à peu nos repères et nous rendent addict. Il faut également prendre en compte les émotions qui sont toujours présentes dans un débat ou lors d’échanges sur internet.