“Investiguer les questions sociales”
Mis à jour le 18.11.25
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Longtemps cantonnée à la description physique de paysages et à la lecture de repères cartographiés, la géographie se renouvelle. Les conséquences du changement climatique et les transformations de l’espace social à réaliser pour s’y adapter sont désormais au cœur d’une discipline fondée sur une démarche d’enquête.
Xavier Leroux est PE à Tourcoing et docteur en géographie, membre associé au Laboratoire CIREL (Université de Lille)
©Hidalgo/Naja
QUELS SONT LES ENJEUX AUTOUR DE L’ENSEIGNEMENT DE LA GÉOGRAPHIE ?
Les enjeux sont multiples. La géographie a d’abord une fonction de repérage, savoir s’orienter, dans l’espace proche ou à des échelles plus lointaines. Mais il s’agit aussi d’accéder à la compréhension de la façon dont les territoires sont socialement organisés. Elle a enfin une dimension citoyenne pour apprendre à vivre ensemble, accepter les différences. En classe, les PE doivent procéder à des arbitrages pour organiser les enseignements sur documents, manuels ou organiser une sortie de terrain.
Cette pratique est contraignante mais pleine de vertus en termes d’analyse concrète de l’espace. Du fait de leur parcours universitaire, les PE sont généralement mal à l’aise avec la géographie, discipline fortement délaissée. Les inventaires de lieux et repères dominent souvent dans la classe en défaveur d’une géographie analytique. C’est la conséquence d’un défaut de formation initiale et continue, avec un volume toujours en recul.
EN QUOI CETTE DISCIPLINE AIDE-T-ELLE À COMPRENDRE LE MONDE DE DEMAIN ?
La géographie a désormais intégré une dimension prospective. Les élèves ont à se projeter sur le devenir d’un territoire à différentes échelles temporelles. Une perspective qui donne un caractère dynamique à une discipline qui a souffert de ne pas en avoir. On a souvent décrit des réalités physiques immuables tel le Petit Prince et ses montagnes. S’engager dans des scénarios sur ce qui pourrait arriver n’a rien d’évident pour les élèves. Mais cela peut d’abord être appréhendé dans l’espace de proximité et à l’échelle de l’année scolaire.
Et puis à plus grande échelle, on peut interroger le changement climatique et les adaptations à réaliser. Comprendre l'organisation de l’espace humain pour organiser sa propre survie, l’habitabilité de la planète. Dans une démarche d'investigation critique de données, cartes, graphiques ou photographies, à travers une analyse distanciée des discours divergents des différents acteurs, la géographie développe la capacité à raisonner, à exercer son esprit critique, à s’ouvrir à la diversité culturelle.
“Les élèves ont à se projeter sur le devenir d’un territoire à différentes échelles temporelles”
Y A-T-IL AUJOURD’HUI DE NOUVEAUX OBJETS GÉOGRAPHIQUES ?
Le concept d’objet géographique incite à ne pas seulement travailler sur une succession de territoires – villes, campagnes… - ou d’échelles différentes – France, Europe, Monde. Dans une approche moins territoriale, toute problématique est bonne à traiter, en cohérence avec la maturité des élèves. Cela permet ainsi d’investiguer les questions sociales liées à la santé et au climat, en lien avec le concept « habiter ». Ce concept au cœur des programmes de 2015 a souvent été mal compris et confondu avec le sens commun « rési-der ». En géographie scientifique, « habiter » signifie vivre et pratiquer l’espace, y compris se loger, travailler, communiquer, avoir des loisirs…
Or, « habiter » subit des modifications à cause du réchauffement climatique provoqué par les émissions humaines de gaz à effet de serre. La répartition du vivant - végétal, animal, y compris microbien, ou humain - est en mouvement. Au vu de ces changements, il s’agit de s’interroger sur la façon d'apprendre à vivre avec le reste du monde vivant.
COMMENT LES TRAITER ?
Les problématiques de santé sont par exemple intéressantes car elles concernent tout le monde et résonnent avec les conséquences environnementales des activités humaines. Inégalités d’espérance de vie et d’accès aux soins font écho aux grands enjeux sanitaires et écologiques de demain : malbouffe, zoonoses, qualité de l’air…En jouant sur des ressorts de motivation et de vécu, il peut être préférable de traiter des réseaux de maternités plutôt que de gériatrie…
Le fil conducteur d’une séance peut d'abord consister à dresser l’état des lieux des inégalités sanitaires, à analyser leur spatialité. Puis, à travers une analyse critique de différents supports qui vont de cartographies disponibles dans les manuels à des reportages audio-visuels, il s’agit de problématiser comment se structurent ces inégalités. Mais aussi, arbitrer parmi des hypothèses à partir de documents car tout apprentissage géographique n’est pas réductible à ce qui est visible dans le paysage.