Inégalités filles-garçons, changer ses pratiques
Mis à jour le 28.12.23
min de lecture
C'est dans la vie quotidienne que les inégalités se jouent le plus : il faut changer les pratiques des PE
Dylan Racana,est doctorant en sciences de l’éducation à l’Université Lyon 2. Il étudie la construction des inégalités de genre et est auteur de l’ouvrage « Inégalités filles-garçons à l’école maternelle » (Éd L’Harmattan).
“C’est dans la vie quotidienne que les inégalités se jouent le plus”
Qu'est-ce qui génère les inégalités filles-garçons ?
Des inégalités existent lorsqu’il manque quelque chose à un groupe ou que la socialisation est différenciée. De multiples choses génèrent des inégalités : les constructions sociales, les stéréotypes, la publicité, le contenu des livres, le comportement des adultes qui entourent les enfants… Plusieurs études montrent que dans une fratrie, il est beaucoup plus demandé aux filles de débarrasser qu’aux garçons, ces derniers sont beaucoup plus incités à aller jouer dehors tandis que les filles ne sont pas invitées à réaliser des activités ou si elles le sont, ce sont des activités avec des animaux et d’embellissement corporel. La répartition des tâches à la maison, véhiculée par les parents, a aussi un impact sur la vision du monde qu’ont les enfants.
Les pratiques enseignantes y participent-elles ?
Toutes ces inégalités se retrouvent à l’école. Des études montrent qu’on demande plus aux filles d'accompagner leurs camarades aux toilettes ou de surveiller la classe et aux garçons de déplacer les chaises. Les surnoms employés génèrent aussi des inégalités, « ma belle » pour les filles, « mon grand » pour les garçons. Ces stéréotypes renvoient encore une fois la fille à son physique, à l’aide à la personne et le garçon à sa grandeur et à sa force. J’ai pu observer que la réprimande est plus importante si une bêtise est réalisée par un garçon que si celle-ci est réalisée par une fille. Les garçons sont interrogés plus et plus longtemps sur les savoirs. Les coins jeux dans les classes peuvent aussi être source d’inégalités, tout dépend de la manière dont ils sont présentés. Si l’enseignant prend la précaution de nommer le coin voiture, le coin dînette sans dire à qui ils s’adressent, cela permet à chaque enfant de se sentir concerné et de s’autoriser à y aller jouer quel que soit le sexe.
“Travailler à l’égalité filles-garçons, c’est permettre à chacun des groupes
d’accéder aux mêmes activités et veiller à ne pas les différencier socialement.”
Pourquoi dites-vous qu'il est important de donner à voir d'autres possibles dès la maternelle ?
Si on ne s’attaque à la déconstruction des stéréotypes qu’à l’école élémentaire ou au collège, il faudra non seulement déconstruire ce qui a été véhiculé dans la famille mais aussi ce qui l’aura été précédemment lors de la scolarisation. Mener des séances spécifiques pour déconstruire les stéréotypes est important et nécessaire mais c’est dans la vie quotidienne que les inégalités se jouent le plus et dans ce qu’on véhicule tout au long de la journée, tous les jours. En prendre conscience, se remettre en question permet d’en véhiculer le moins possible. Ne plus dire, par exemple, « c’est l’heure des mamans » mais « c’est l’heure de la sortie » ou « tu es malade, je vais appeler maman » mais plutôt « je vais appeler tes parents . Réfléchir aux éléments de langage est important. Se filmer et analyser sa pratique est l’idéal pour se rendre compte de ce que l’on véhicule inconsciemment mais cela demande un temps conséquent que les enseignants n’ont pas.
Déconstruire des stéréotypes à l'école peut être déstabilisant pour certaines familles, comment lever les craintes ?
C’est compliqué. Il est important aussi de déconstruire les représentations en expliquant le travail réalisé en classe, dire qu’il n’y a pas de cours de masturbation, dialoguer sur les fake-news et les rumeurs. Certaines familles peuvent avoir le sentiment qu’à l’école, on ne veut plus ni de filles, ni de garçons, or, ce n’est pas le propos. Travailler à l’égalité filles-garçons, c’est permettre à chacun des groupes d’accéder aux mêmes activités et veiller à ne pas les différencier socialement. Je conseille aux enseignants de ne pas travailler de front avec les familles, c’est-à-dire, par exemple, parler d’égalité filles-garçons plutôt que d’égalité de genre qui renvoie aux débats de la « manif pour tous ».