Inclusion : déconstruire les étiquettes
Mis à jour le 27.11.24
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Depuis plusieurs années, le nombre d’enfants à besoin éducatif particulier ne cesse d’augmenter avec la multiplication des diagnostics médicaux. Une médicalisation de la difficulté scolaire qui n’est pas sans conséquence sur les élèves, les familles et l’école.
Stanislas Morel est docteur en sociologie et maître de conférence en sciences de l’éducation à Sorbonne-Paris-Nord.
“Faire le deuil de l’approche par diagnostic”
QUEL RÔLE JOUENT LES SCIENCES COGNITIVES DANS LA COMPRÉHENSION DE LA DYSLEXIE ?
La dyslexie est un trouble ancien, étudié depuis les années 50 dans le monde de la recherche avec des oppositions assez marquées entre sociologues, psychologues et neuroscientifiques. Dans mon livre sur la médicalisation, paru il y a dix ans, j’ai proposé une interprétation sociologique du recours massif à des diagnostics médico-psychologiques pour expliquer les difficultés des élèves. Depuis, j’ai beaucoup lu la littérature en sciences cognitives et travaillé régulièrement avec des chercheurs dans ces disciplines. Aujourd'hui, je continue à remettre en cause le diagnostic de la dyslexie non seulement en m’appuyant sur des analyses sociologiques, mais aussi parce qu'une grande partie des chercheurs en sciences cognitives s’insurgent eux-mêmes contre ce diagnostic. Selon eux, en l’état actuel de la recherche, nous ne sommes pas en me-sure de différencier les difficultés d'apprentissage de la lecture dues à des causes neurobiologiques de celles dues à toute une série d’autres causes: pédagogiques, sociales ou psycho-affectives.
COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS CETTE MÉDICALISATION DE LA DIFFICULTÉ SCOLAIRE ?
Il y a des convergences d'intérêts qui ont conduit à une vague massive de diagnostics. La classe politique s’en est saisie en espérant améliorer les résultats de l’école, grâce à des politiques plus individualisées ciblant les élèves à besoin éducatif particulier. Beaucoup de chercheurs en sciences cognitives ont cherché à promouvoir leurs recherches sur la dyslexie et à les faire reconnaître par les instances nationales. Les professionnels du soin, à commencer par les orthophonistes, y ont aussi trouvé une clientèle. Les enseignants ont également contribué à cette médicalisation. Confrontés à des situations difficiles, ils sont tentés, dans une logique préventive ou d’urgence, d’adresser les enfants à des spécialistes du soin. Enfin les diagnostics de troubles spécifiques des apprentissages sont souvent considérés par les parents comme les moins stigmatisants ou culpabilisants et les plus porteurs parce que spécifiques : un processus cognitif est touché mais l’intelligence globale est préservée. C’est aussi un diagnostic qui permet de demander des aménagements à l’école.
“L’école ne doit plus conditionner les aides aux élèves en difficulté à des diagnostics mais fournir à tous des remédiations dont l’efficacité a été reconnue”
EST-CE LA BONNE SOLUTION ?
Non car l’impossibilité, en l’état actuel des connaissances, de différencier un enfant dyslexique d’un enfant dont les difficultés d’apprentissage en lecture sont dues à d’autres causes, conduit à ce que la catégorie « enfants dyslexiques » devienne relativement arbitraire. Actuellement, cette catégorie regroupe un grand nombre d’enfants issus des classes moyennes et supérieures, dont les parents se mobilisent le plus pour l’obtention du diagnostic et des aides qui en découlent. Or, pourquoi seuls certains mauvais lecteurs bénéficieraient-ils d’une aide ? Cela crée un biais inégalitaire. Par ailleurs d’un point de vue de l’estime de soi, quand un enfant n’arrive pas à lire et qu’il n’est pas diagnostiqué dyslexique, alors qu’est-il ? Tout cela est très discutable et surtout inefficace car cela laisse beaucoup d’enfants au bord de la route.
QUE PEUT FAIRE L’ÉCOLE ?
En l’état actuel des connaissances, il faudrait faire le deuil de l'approche par diagnostic des difficultés d’apprentissage de la lecture. L’école ne doit plus conditionner les aides aux élèves en difficulté à des diagnostics mais fournir à tous des remédiations dont l’efficacité a été reconnue. Il faudrait également que les enseignants retrouvent leur professionnalité, c'est-à-dire leurs compétences premières, qui sont de distinguer les différents types de difficultés que rencontrent les élèves et d’élaborer dans l’école les solutions les plus adaptées. Cela pose le problème de la formation, mais aussi des relations avec les autres professionnels et avec les chercheurs. Dès qu'un diagnostic est posé, l'enseignant se retrouve relativement dessaisi. Parfois, il en est satisfait, parfois pas. Un rééquilibrage est nécessaire car, de plus en plus, les enseignants se voient dire comment il faut faire par les scientifiques ou les professionnels du soin.