"Il n'y a pas de fatalité à l'échec"

Mis à jour le 18.12.21

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Les missions de la maternelle, une école émancipatrice. C'est la fonction de l'école maternelle que d'engager tous les enfants dans la découverte de nouvelles pratiques, d'une nouvelle manière de regarder le monde pour qu'ils s'émancipent.

Christine Passerieux a été conseillère pédagogique, responsable du groupe français d’éducation nouvelle (GFEN) et associé à l’équipe Escol à l’université Paris 8.

Christine Passerieux UDA 2021 ©Millerand-Naja

Qu'est-ce qui caractérise l'école maternelle aujourd'hui ? Quelles sont ses missions ? 

La mission de l’école maternelle est de permettre à tous les enfants d’entrer dans cette nouvelle culture qu’est la culture scolaire, en donnant à tous ce que certains ont construit dans leur milieu familial. Les programmes de 2015 ont apporté une rupture avec les précédents en affirmant que les enfants sont tous capables d’apprendre, à certaines conditions. A savoir qu’ils devaient tous être pris en compte, en tant que sujets pensants afin de réduire les inégalités. Si aujourd’hui la mission de l’école maternelle reste de réduire les inégalités selon le ministre, il faut décrypter le langage ministériel pour comprendre qu’il n’en n’est rien. La maternelle, désormais intégrée dans le système obligatoire, est essentiellement chargée de préparer aux fondamentaux du CP et aux évaluations standardisées. Elle devient un des maillons sur lequel le pouvoir politique peut intervenir en prescrivant des méthodes sur un mode injonctif qui remettent en cause le métier d’enseignant et ne prennent pas en compte les différences socialement construites.
Sa mission d’acculturation à l’univers scolaire n’a plus cours. Le risque est énorme d’une école où se renforceront les écarts.

En quoi l'école participe-t-elle à l'émancipation des élèves ? 

C’est un milieu où l’on apprend à penser, à agir, à réfléchir avec les autres, où l’on est confronté à l’altérité dans la rencontre avec de nouveaux objets de culture, avec un adulte qui a des objectifs que l’on ne connaît pas, avec d’autres élèves différents de soi. C’est la fonction de l’école maternelle que d’engager tous les enfants dans la découverte de nouvelles pratiques, d’une nouvelle manière de regarder le monde pour qu’ils s’émancipent. Ceci est particulièrement important pour ceux, et ils sont très nombreux, pour qui l’école est un milieu étranger, car c’est cette étrangeté qui crée des inégalités quand les outils ne leur sont pas donnés pour que ce milieu leur devienne familier.

Quels seraient les obstacles à une maternelle émancipatrice ? 

Tout d’abord la non prise en compte de ce qui différencie les enfants lorsqu’ils arrivent à l’école, comme si le passage de l’enfant à l’élève était naturel alors qu’ils ont à construire un nouveau rapport à l’école, aux apprentissages, aux savoirs qui pour beaucoup n’est pas évident. Des apprentissages technicistes qui ignorent la dimension culturelle des apprentissages. L’insistance, par exemple, du ministre sur la phonologie évacue la question du langage en tant qu’élaboration de la pensée et met en difficulté ceux qui n’ont pas encore construit la langue comme objet. Un autre obstacle est de penser que l’entraînement, l’exercice suffisent pour apprendre alors qu’il s’agit avant tout de comprendre pour construire du sens.

Que préconisent les travaux que vous avez coordonnés pour façonner une maternelle qui réduisent les inégalités scolaires ?

Il est indispensable d’être convaincu qu’il n’y a pas de fatalité à l’échec, nombre de pratiques en font la preuve. En prenant en compte que tout est à apprendre dans ce milieu nouveau, en s’appuyant sur ce qu’ils savent déjà et que, ce qu’ils ne savent pas encore n’est pas un handicap. En les mettant dans des situations où ils ne sont pas seuls mais s’enrichissent des interrelations dans le groupe. En observant ce qui peut poser problème, pour y remédier, plutôt que de faire des élèves eux-mêmes le problème lors d’évaluations totalement inadaptées, qui ne peuvent que les conduire à une image négative d’eux-mêmes. En créant un milieu pédagogique qui engage à comprendre qu’à l’école, il ne suffit pas de faire, encore faut-il dire et penser le faire pour asseoir des connaissances. Par exemple en faisant vivre le langage, pas seulement pour communiquer mais aussi pour réfléchir, comprendre, argumenter, interpeller, émettre des hypothèses, c’est-à-dire être dans un exercice de la pensée qui est libérateur. En leur faisant vivre des situations où apprendre à l’école, c’est gagner en pouvoir d’agir, découvrir des capacités parfois insoupçonnées et non pas exécuter des tâches, où l’acculturation de tous est le moteur pour créer le désir de s’engager dans la spécificité des apprentissages scolaires. C’est cette conception de l’apprentissage et de l’enseignement qui conduit à la réduction des inégalités et à une réelle émancipation.