“Il faut sanctuariser les moyens ”

Mis à jour le 20.12.21

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Les forces et les faiblesses de l'EP aujourd'hui ? Comment l'améliorer ? Les CLA (contrats locaux d'accompagnement) sont-ils de nature à remettre en cause la conception globale depuis 40 ans en EP ?

Marc Douaire est président de l’Observatoire des zones prioritaires créé en 1990 et ayant pour objectif de favoriser l’information, la réflexion et les échanges sur l’éducation prioritaire.

Marc Douaire UDA 2021  ©Millerand-Naja

A quoi peut-on s'attendre avec l'expérimentation des contrats locaux d'accompagnement (CLA) ?

Les CLA ne partent pas d’une analyse pragmatique du terrain qui montrerait que les réseaux d’éducation prioritaire (Rep) ne sont pas la bonne politique à conduire pour résoudre et améliorer les résultats scolaires et la vie des élèves en éducation prioritaire (EP). Ils sont nés de la volonté du ministre, Jean-Michel Blanquer, de ne pas procéder à l’évaluation de la politique d’EP telle que le gouvernement précédent s’y était engagé. Les CLA sont des contrats tournés vers des établissements, l’enseignement catholique sous contrat peut les intégrer mais surtout les difficultés sociales que rencontrent, sur leur territoire, les familles, les élèves, ne sont plus la référence. La question des inégalités sociales est mise de côté au profit d’une politique territoriale. Le rural est mis en avant au détriment des quartiers ghettoïsés.

Sont-ils de nature à remettre en cause la conception globale depuis 40 ans en EP ? 

Clairement oui. Avec sa création, la politique d’EP a pris en compte, pour la première fois, le fait que les élèves ne sont pas en situation d’égalité, qu’ils ont des bagages culturels et sociaux extrêmement différents. Mise en place dans les territoires fortement marqués par les inégalités, elle articule le système éducatif local, les collectivités locales, les services déconcentrés de l’Etat et les associations. C’est aussi une politique inter-degrés, de l’entrée de la maternelle jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire qui marque la continuité et la cohérence des apprentissages pédagogiques et éducatifs. C’est enfin, une politique de projets, pilotés nationalement et articulés avec la liberté des acteurs de terrain. Dans les CLA, la question sociale est évacuée au bénéfice du dynamisme des établissements, il n’y a pas de projet de réseau, et les moyens sont conditionnés à des résultats, c’est une véritable rupture. Nathalie Elimas annonce la généralisation des CLA en 2022 et la disparition des Rep.

L'EP a subi des changements d'orientation, comment les expliquer ? 

En 40 ans se sont superposées plusieurs conceptions de l’EP. L’originelle, celle d’Alain Savary, était de réunir sur un territoire donné l’ensemble des acteurs en charge des enfants et des jeunes au sein d’un projet éducatif, souvent dans des cités ghettoïsées où le service public ne pouvait plus remplir sa fonction normale. Une autre était centrée sur l’intra-scolaire avec un projet école-collège. Dans la troisième, il s’agissait d’assurer la promotion d’individus vers l’excellence, de favoriser une élite sans se soucier des autres. La politique d’EP a fonctionné continuellement en relance, silence, oubli, négation, sans véritable bilan sauf au moment de la refondation de l’éducation prioritaire.

Les forces et les faiblesses de l'EP aujourd'hui ? Comment l'améliorer ?

Les forces résident dans des équipes et des pilotes fortement mobilisés pour faire réussir l’ensemble des élèves malgré les changement incessants, une volonté de marquer des cohérences et des continuités de l’entrée de l’école maternelle jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire, un souci constant d’améliorer la professionnalisation pour mieux répondre aux difficultés des élèves et de donner du sens à l’école publique. Elles résident également dans les projets construits à partir des axes du référentiel de l’EP : concilier exigence et bienveillance, développer le travail collectif, articuler prescription nationale et liberté des équipes, articuler politique partenariale et spécificité du travail enseignant. La labellisation est aussi un atout qui implique l’attribution de moyens différenciés sur un temps long. Les faiblesses se logent dans la discontinuité du pilotage politique, les détournements ou remises en question du principe originel de l’EP et à son application qui n’a pas été réellement prioritaire dans nombre d’académies. Pour réussir à lutter contre les inégalités au sein de l’école, il faut à la fois un pilotage ferme et de la confiance envers les équipes de terrain. Il faut sanctuariser les moyens en postes, en remplacement et en formation. Les nouvelles fonctions, coordonnateurs, enseignants référents, formateurs, doivent être aussi reconnues car elles apportent de la dynamique. Dans la gestion quotidienne des académies, l’EP doit être réellement prioritaire. Enfin, les nouvelles formes de travail passant par un collectif professionnel doivent être encouragées et prises en compte dans la formation initiale des enseignants.