"Ne pas priver l'école publique"

Mis à jour le 27.11.22

min de lecture

"L'école publique est délaissée par le pouvoir politique" : Ghislain Leroy estime que des menaces pèsent sur l'école publique dans la fabrique du commun. Quelles en sont les causes et que peuvent faire les PE ? Que serait une école émancipatrice ?

Ghislain Leroy est maître de conférences en sciences de l'éducation à l'Université Rennes 2 et au laboratoire CREAD. Ses travaux interrogent la place de l'enfant dans l'école et la société et les formes que peut prendre son émancipation. 

UDA 2022 Ghislain Leroy©Millerand-Les grenades-Naja

Vous estimez que des menaces pèsent sur l'école publique dans la fabrique du commun. Pourquoi ? 

Dans ce contexte où l’école publique est délaissée par le pouvoir politique en termes d’ambition, de moyens, de formation, elle se voit supplantée par une offre privée avec le risque d’avoir une école à deux vitesses. D’un côté, des parents ont le choix pour déterminer le parcours scolaire de leur enfant et de l’autre, des parents plus ordinaires se retrouvent à scolariser leur enfant dans l’école publique avec de moins en moins de mixité sociale pourtant facteur de réussite. Le développement de l’offre alternative témoigne de cette menace comme les écoles privées Montessori, les écoles alternatives Steiner, l’instruction en famille ou encore les écoles démocratiques. Cela prend des formes très différentes, avec pour certaines, des logiques d’entre soi qui s’adressent, dans ces cas-là, à des populations bien situées socialement. Pour d’autres, elles accueillent aussi des élèves qui ont été parfois malmenés par l’école publique pour des raisons qui resteraient à investiguer. Il peut s’agir d’enfants issus de milieux plus modestes où les familles font le choix de l’instruction à domicile ou se tournent vers les écoles démocratiques. S’ajoute, à ces nouvelles concurrences, un recours à l’école privée plus ordinaire qui gagne du terrain sur l’école publique. L’école catholique connaît un grand succès.

Quelles en sont les causes ? 

Un certain nombre de parents ont le sentiment que les temps ont changé : « Si on veut la réussite de son enfant, aujourd’hui, l’école publique ne peut plus assurer un parcours scolaire de bonne qualité ». Les chiffres montrent une croissance nouvelle de l’école privée. Dans les milieux les plus élitaires, l’offre se développe chaque année avec de nouvelles propositions. Par exemple, à Paris, il y a tout un nouveau réseau d’écoles maternelles privées, avec différents types de pédagogie et des prix conséquents. C’est révélateur d’une période où l’école publique est délaissée politiquement et où les écoles sont mises en concurrence.

Que peuvent faire les PE ? 

Les enseignants sont pris dans des réalités sociales qui limitent leurs possibilités d’action. Les problèmes sociaux et les inégalités s’invitent dans les classes. L’école ne peut pas tout régler, les enseignants ne peuvent pas tout faire. Ce n’est pas un aveu d’impuissance mais un constat réaliste et qui va à l’encontre de ce qu’on leur demande en termes de résultats. La conscience de la réalité, y compris dans ses aspects négatifs, permet de comprendre les tendances actuelles, mais pour dépasser le point de vue pessimiste. L’école a encore des marges de manœuvre, aussi bien à l’échelle des collectifs que des individus. Il ne faut pas baisser les bras.

Que serait une école émancipatrice selon vous ? 

Aller à l’école peut libérer des inégalités sociales ou de destin en créant du commun. L’école émancipe par le savoir et la culture commune. Dans le même temps, elle doit donner la chance d’exister en tant qu’individu, donner la possibilité de penser par soi-même. Quand on est dans une société où la mise en concurrence prévaut entre les écoles, on perd une sorte de coopération à l’échelle nationale. Au sein même d’une classe, on peut avoir le même type de fonctionnement. Les écoles d’inspiration Montessori, par exemple, sont très peu coopératives. Chaque enfant suit un parcours singulier, presque dans l’isolement. Cette pédagogie va souvent avec l’abandon de projet en commun à l’échelle de la classe. C’est une logique individualiste qui joue en faveur de l’isolement des uns par rapport aux autres. La coopération est une notion alternative et critique vis-à-vis de ces tendances. Pèsent sur l’école actuelle des attentes fortes de résultats avec au centre les apprentissages scolaires. L’école est là pour apprendre mais aussi pour construire du commun, fédérer du lien entre les enfants et entre adultes et enfants. C’est un espace de rencontre et d’échanges, de convivialité, qui va au-delà de l’objectif d’apprentissage. On a tendance à perdre ces dimensions humaines qui sont pourtant elles-aussi au service des apprentissages.