Quelle évolution pour l'éducation prioritaire ?

Mis à jour le 27.11.22

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"Poursuivre la transformation de l'institution scolaire et sa démocratisation" : Daniel Frandji évoque l'éducation prioritaire, la refondation envisagée par le ministère, les PEDT, les cités éducatives.

Daniel Frandji est sociologue et professeur en sciences de l'éducation à l'Université Lyon 2, membre du Laboratoire Education, Cultures, Politiques.

UDA 2022 Daniel Frandji©Millerand-Les grenades-Naja

La "territorialisation des politiques éducatives" commence à la création des ZEP. N'était-ce pas une bonne idée de vouloir donner plus à ceux qui ont moins ? 

C’était évidemment une bonne idée de donner des moyens supplémentaires. Mais ils étaient assez faibles et la question de leur utilisation se posait aussi. Les équipes n’ont pas été accompagnées, l’idée étant que c’était au terrain de trouver les solutions et d’innover. S’il s’agit de lutter contre les inégalités sociales en matière d’éducation, la manière dont on pense l’école socialement, les difficultés, échecs et réussites scolaires est en jeu. Il faut trouver les fonctionnements « démocratisants » : se donner les moyens d’agir sur les processus sociaux et scolaires qui participent à la construction des inégalités scolaires. Les résultats des ZEP ont d’ailleurs été jugés décevants. Elles ont évité le creusement des écarts. Sans elles, cela aurait été pire. Mais les inégalités scolaires s’accentuent en France depuis le début des années 2000 avec un système scolaire de plus en plus sélectif. Le discours sur la méritocratie et l’excellence est exacerbé. Dans le même temps, la politique d’éducation prioritaire (EP) a aussi changé de finalités. L’objectif de lutte contre l’exclusion a pris le pas sur celui de lutte contre les inégalités so-ciales, avec des couplages de plus en plus forts de la politique scolaire avec la politique de la ville. Des dispositifs avec une vision bien plus sociale que scolaire de l’éducation se sont développés.

La "refondation" de l'EP et les projets éducatifs de territoire (PEDT) avaient-ils la même approche ? 

La loi de 2013 était positive dans sa volonté de refonder la politique d’éducation prioritaire revenant à une logique compensatrice-transformatrice pour démocratiser en luttant contre les inégalités. Elle a tenté, non pas d’imposer, mais d’outiller les équipes locales sur les pratiques et de les accompagner dans les mises en œuvre. Mais dans la même loi a été reprise une conception de la territorialisation bien différente avec la réforme des rythmes scolaires et les PEDT. Celle-ci donnait aux collectivités une plus grande place dans la coordination de l’action éducative locale mais en leur déléguant la question des contenus éducatifs. Des travaux ont montré que le temps éducatif peut devenir de plus en plus fragmenté avec différents registres éducatifs rendus parfois peu lisibles pour les enfants.

Croiser les regards et compétences des différents acteurs peut-il être utile à la réussite scolaire ? 

Les enfants ont besoin d’approches et d’apports culturels différents, clairs, pour se construire. L’école doit sûrement mieux s’intégrer dans un vaste espace éducatif local. Mais, il faut le penser et cesser de considérer que tous les acteurs « éducatifs » font le même travail et que le « partenariat » est bénéfique en soi. Or, il semble devenir l’objectif premier dans les cités éducatives avec la construction d’un « éco-système local » intégré. Mais un écosystème pour faire quoi ? L’idée est ancienne : le local serait le lieu le plus efficace de résolution des « problèmes ». Sous prétexte d’une école trop fermée et d’une conception trop « scolaro-centrée » de l’action publique, l’école semble forcée à entrer dans cette coopération et s’inscrire dans les enjeux de la politique de la ville. Les quartiers de la politique de la ville auraient ils besoin de moins d’école ? Pouvons-nous parler des logiques et enjeux autonomes de la scolarisation, intimement liés au développement des savoirs et dispositions intellectuelles travaillées par la culture écrite, sans être taxés de « scolaro-centrisme » ? Une clarification est nécessaire pour poursuivre la transformation de l’institution scolaire et sa démocratisation.

Quelles sont les observations dans les cités éducatives ? 

Dans certaines cités éducatives, un beau dynamisme se crée, des espaces de débats respectueux entre professionnels se construisent avec l’aide des pilotes. Mais ce n’est pas toujours le cas. Quel rôle vont jouer ces cités dans la lutte contre les inégalités sociales d’apprentissage quand celle-ci n’est même pas mentionnée dans leurs finalités ? C’est trop tôt pour le dire. Pour autant, cela interroge et appelle à la vigilance.