L'évaluation positive plutôt que la concurrence

Mis à jour le 27.11.22

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"Le mérite est un principe de légitimation des inégalités" : Annabelle Allouch définit le mérite scolaire, analyse les effets de la méritocratie et les risques d'un tel système. Mais quelle alternative au mérite ?

Annabelle Allouch est sociologue et maîtresse de conférences en sociologie à l'Université Picardie-Jules Verne. Elle est l'autrice de "L'empire des classements scolaires" (Seuil 2017) et de "Mérite" (Anamosa 2021)

UDA 2022 Annabelle Allouch©Millerand-Les grenades-Naja

Quelle est votre définition du mérite scolaire ?

Le mérite est un principe qui organise l’institution scolaire, dans sa version bureaucratique et dans la relation aux apprentissages. Les notes, les modes d’évaluation permettent de passer au niveau supérieur et de qualifier le travail des élèves et des étudiants. C’est aussi un principe organisateur au niveau des personnels, d’autant plus dans le contexte actuel où les primes sont fondées sur une évaluation individualisée en lien avec la performance. Le mérite repose sur deux versants. Un versant de justice sociale qui permet d’organiser la distribution de biens selon la position sociale. On accède à une position en fonction de son mérite. Ce versant se fonde sur l’idée que l’on pense être capable d’évaluer le mérite en fonction d’un certain nombre d’épreuves qui reposent sur une fiction d’égalité de traitement. Il serait un principe de justice. Second versant, le mérite est un principe de légitimation des inégalités. C’est un principe trompeur car il ne fait que valoriser ceux qui ont déjà une culture scolaire valorisée et dominante. Le mérite est valorisé au sein de l’institution scolaire. Non seulement il légitime la position inégalitaire des « gagnants », en même temps, il fait accepter aux « perdants » le fait que l’échec serait leur responsabilité.

La méritocratie est-elle au service de la réussite de tous ? 

L’école n’est pas basée sur un système méritocratique, pourtant, les gens y croient encore. Elle fonctionnerait car elle serait en capacité de reconnaître le mérite de chacun. L’école n’est pas au service de la réussite de tous mais au service de la réussite de ceux qui sont reconnus comme méritants. Dans les enquêtes auprès des élèves et des parents, le mérite est composé de trois éléments. L’effort personnel, qui structure la rhétorique méritocratique et qui donne l’illusion de contrôler notre avenir à la seule aune de notre effort personnel. Deuxième élément, le talent naturel, que l’on retrouve dans tous les discours managériaux sur le potentiel et le développement personnel. C’est le retour d’une sorte d’inné qu’il faudrait aller chercher en soi. Le dernier élément est d’ordre moral. Par exemple, pour Poutine qui a commencé en bas de l’échelle et qui est aujourd’hui président de la Russie, on ne parlera jamais de mérite. Le mérite n’est donc pas moral, lui qui prétend porter une valeur émancipatrice héritée de la Révolution française et liée à l’idéologie républicaine et démocratique. On ne sélectionnerait plus les gens selon leur naissance, comme sous l’Ancien régime, mais selon leur talent individuel que l’Etat pourrait identifier par le biais de concours par exemple. Le mérite en serait presque immoral. Mais il est très difficile de se départir de la rhétorique individualiste dans une société elle aussi individualiste. Le mérite permet à chacun de penser qu’il a prise sur sa réussite, alors que pas vraiment puisque son espace de socialisation participe à la possibilité de cette réussite.

Quel est le risque d'un tel système scolaire ? 

Le risque principal est la reproduction des inégalités sociales et gen-rées. En prévalant se baser sur un système purement méritocratique et sur le mérite des élèves que l’institution saurait évaluer justement, on fait porter la responsabilité de l’échec aux « perdants ». C’est un constat qui peut sembler banal mais qu’il est important de rappeler. Et les discours de transfuges de classe, dont les trajectoires sociales sont bien souvent héroïsées, donnent du crédit à la fable du système scolaire méritocratique.

Quelle alternative au mérite ? 

Je dis souvent que c’est la question à cent millions de dollars. Statistiquement, ce qui serait plus juste serait un système basé sur le tirage au sort si on veut que les élites ressemblent plus à notre société. Cela peut paraître surprenant, mais une personne issue de milieu populaire a plus de chance d’atteindre des postes élevés dans la hiérarchie sociale via un système de tirage au sort - par exemple, en tirant au sort des admis au sein d’un vivier de candidats - qu’avec un système se prévalant méritocratique. Je dis bien que c’est plus juste statistiquement parlant, pas politiquement.