L'intelligence du corps

Mis à jour le 25.11.22

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"Une pratique, cela se pense" : la maternelle est décisive pour les apprentissages moteurs, qui ont des incidences sur la capacité d'apprendre. Faudrait-il améliorer le programme de maternelle en la matière ?

Fabrice Delsahut est maître de conférences en STAPS. Il intervient à l'INSPE de Paris. Membre du Laboratoire sur les Vulnérabilités et l'Innovation dans le Sport (L-Vis) de l'Université Claude Bernard Lyon 1 et membre du conseil scientifique de l'AGEEM.

UDA 2022 Fabrice Delsahut©Millerand-Les grenades-Naja

En quoi la maternelle est-elle décisive pour les apprentissages moteurs ? 

De nombreux travaux montrent que l’âge de 6-7 ans constitue une étape importante qui marque la fin des grandes transformations des patrons moteurs de base. Nous sommes dans la phase de la motricité fondamentale. La maternelle constitue donc, au sein du curriculum scolaire, un temps incontournable pour le développement moteur, pour la prise de conscience de soi, de son corps mais aussi de son environnement spatio-temporel et des possibilités de s’y adapter. Le cycle 1 est un moment primordial pour la construction de la motricité de base de l’enfant, pour le développement d’un « véritable vocabulaire moteur » composé d’actions motrices fondamentales relevant de la motricité globale, de la motricité fine et de l’oculomotricité. A cela s’ajoute la dissociation segmentaire, la coordination… Cette période est aussi un moment opportun pour développer ce que les Anglo-saxons nomment la « littératie physique ». Cela renvoie au fait de posséder suffisamment d’habiletés motrices, de confiance en soi et une bonne perception de ses capacités physiques pour participer pleinement à différentes activités physiques.

Cette capacité motrice a-t-elle des incidences sur celle d'apprendre ? 

Le développement global de l’enfant à ces âges renvoie au développement simultané, intégré, graduel et continu de tous les domaines, qu’ils soient neurologique, socio-émotionnel, langagier, cognitif et bien sûr moteur, qui le composent. De la multitude des combinaisons possible naîtra l’unicité de l’être. Mon domaine concerne celui de la motricité donc je mets l’accent sur ce qui me semble mal pensé, voire impensé et insiste sur le fait qu’il ne soit pas subordonné à d’autres apprentissages. Le temps scolaire de la motricité a pour vocation première de développer les acquisitions gestuelles et les automatismes qui augmenteront le potentiel de ressources de l’élève en le libérant des contraintes d’exécution. Toutefois, si la motricité est l’expression première de l’enfant, elle est aussi propédeutique à des apprentissages relevant de divers champs, qu’il s’agisse de la numératie ou de la littératie. L’éducation motrice s’accompagne d’une éducation par la motricité, à savoir comment apprendre par le mouvement et comment apprendre en mouvement. N’oublions pas que le passage de l’intelligence sensori-motrice à l’intelligence logique se joue principalement à l’école maternelle et que dans tous les domaines, les connaissances conceptuelles sont extraites de connaissances implicites, de réussites en acte.

Qu'en dit le programme de maternelle ? 

Malgré le discours centré sur l’élève, les programmes d’EPS sont prioritairement construits sur l’activité et non sur les besoins de l’élève. Le législateur n’a fait que substituer des domaines aux activités. De ce fait, les enseignants cherchent une concordance directe avec les formules des programmes. Ainsi l’attendu « se déplacer avec aisance dans des environnements variés, naturels ou aménagés » se résume souvent à des parcours, plus ou moins bien pensés, plus ou moins évolutifs, mais où les notions d’équilibration, d’appuis podaux, de prise d’information, sont ignorées dans leurs conceptions biomécanique et proprioceptive. L’action « faire » prime, comme le geste technique sportif primera dans les cycles à venir. Pas de « pourquoi » et encore moins de « pour quoi ». Il faut certainement voir dans ce dernier constat un déficit de connaissances, donc de formation initiale, quant aux aptitudes perceptivo-motrices à développer et aux pédagogies d’apprentissage spécifiques à adopter lorsque l’on travaille avec des enfants de cet âge.

Que faudrait-il améliorer ?

L’obligation scolaire à 3 ans renforce la place importante que tient l’école maternelle dans notre système éducatif et nous oblige à penser le corps, ses fonctions, ses attributs sur les lieux d’éducation et de formation. Une pratique, cela se pense ! Et cela passe en premier lieu par une sensibilisation des enseignants aux enjeux sensori-moteurs à ces âges et par des connaissances théoriques et pédagogiques qu’ils n’ont pas toujours. Ils ne doivent pas penser en termes d’activités possibles, les moyens, mais partir plutôt d’une logique de fonctionnement enfantine inhérente au développement psychomoteur et sociocognitif, les besoins, dans un but de structuration des apprentissages moteurs. Si l’on veut rendre une certaine dignité aux PE, il faut que l’on reconnaisse et respecte leur savoir et leur faire. Mais, comme le souligne Viviane Bouysse, c’est aussi et surtout « encourager ce savoir et ce faire et cela porte un nom : former » !