Evaluations : la juste mesure
Mis à jour le 10.09.20
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Interrogé par la rédaction de Fenêtres sur Cours, André Tricot, psychologue cognitiviste revient sur les enjeux de l'évaluation dans la classe et la nécessaire prudence qu'il convient de garder.
“Voir chaque minute dans la classe ce qu’un élève est capable de faire”
Les PE DOIVENT une nouvelle fois à faire passer les évaluations de CP et de CE1. Est-ce bien utile ?
André Tricot* : Je ne les connais pas de façon spécifique mais j’ai un point de vue très favorable sur les évaluations nationales quand elles sont utilisées comme des évaluations nationales, c’est-à-dire comme des outils permettant de voir les choses de haut. Elles sont utiles à condition qu’on en reste au niveau macroscopique, qu’on ne les utilise pas pour faire des évaluations au niveau de l’élève, au niveau de la classe, ou au niveau de l’école. Il faut aussi éviter le piège de l’interprétation. Les évaluations servent à faire des constats. C’est autre chose de faire des diagnostics, c’est-à-dire une explication de ce constat. C’est très humain : dès qu’on nous présente un fait nous avons tendance à l’interpréter, à projeter nos idées, nos opinions, notre façon de voir le monde pour expliquer ce fait. Une évaluation ne peut servir que pour ce à quoi elle a été conçue. Pour évaluer le niveau de performance ou de maîtrise d’un individu, il faut d’autres outils. Et d’autres outils encore pour mesurer le niveau de compréhension moyen d’une classe.
“Les évaluations sont avant tout un système de régulation des apprentissages. Quand
elles sont empêchées, les profs savent inventer des façons beaucoup plus opportunistes.”
Vous dites cependant qu’ « il est sans doute impossible d’évaluer les élèves ». pourquoi ?
A. T. : Pour moi c’est une pétition de principe. Je suis psychologue et par le passé les psychologues ont fait beaucoup d’erreurs en prétendant évaluer les individus. On peut évaluer ce que l’élève fait ici et maintenant, on peut comparer ce qu’il fait par rapport à une norme, par rapport à ce qu’il faisait hier, mais l’individu lui-même, non. Dans leurs classes, les enseignants évaluent la production d’élève mais cette production n’est qu’un reflet de la personne et bien entendu, ce reflet n’est pas juste, il est déformé. On sait tous que si l’évaluation avait été présentée différemment, à une heure différente ou un autre jour, la performance aurait été différente.
Malgré tout, cela reste un outil pour voir où en sont les élèves. Que faire d’utile avec ce qui est révélé ?
A. T. : Évaluer les progrès ou l’absence de progrès d’un élève, où il en est par rapport à des attendus, est quelque chose de très important. Le simple fait d’être évalué et surtout, de recevoir un retour sur ce qu’on est en train d’apprendre, participe au processus d’apprentissage. L’évaluation est absolument centrale, ce n’est jamais du temps perdu, à condition d‘être au clair sur le type d’évaluation qu’on veut faire : rendre compte des progrès ? évaluer le niveau ? Mais il faut aussi garder à l’esprit un doute, se dire que l’évaluation est probablement un peu inexacte et qu’on ne peut pas avoir de certitude.
L’évaluation isolée est sans doute à prendre avec des pincettes donc, mais l’enseignant peut aussi se dire que cet élève qu’il voit tous les jours dans sa classe, il l’observe, l’écoute, l’entend… Toutes les informations qu’il récupère, aussi bien au cours de l’évaluation formelle qu’au cours de moments informels, lui donnent une idée assez juste d’où en est l’élève dans ses apprentissages. Avec ça, l’enseignant peut fournir à l’élève un retour précis, mais il peut aussi parler avec les parents, échanger avec ses collègues, comparer cet élève avec d’autres élèves de la classe si c’est ça qui l’intéresse.
D’après vous, selon les circonstances les résultats peuvent être différents. Y a-t-il une bonne façon d’organiser une évaluation ?
A. T. : J’ai commencé à comprendre ce que peut être une évaluation en observant les enseignants de maternelle. En maternelle, les enfants peuvent très bien ne pas être disponibles pour « passer l’évaluation ». Les enseignantes et les enseignants utilisent beaucoup l’observation de ce qui se passe dans la classe pour se dire « voilà où en est cet élève ». Les évaluations sont avant tout un système de régulation des apprentissages. Quand elles sont empêchées, les profs savent inventer des façons beaucoup plus opportunistes, ils font quand l’occasion se présente. Or les occasions de voir ce qu’un élève est capable de faire, finalement, c’est chaque minute dans la classe. Il faut accepter l’idée qu’on est là pour ajuster notre action au niveau d’où en est l’élève. Certes on a besoin de situations formelles mais les enseignants savent trouver d’autres solutions, c’est une source d’inspiration. Que gagneraient-ils à ne faire que des évaluations formelles ? Pas grand-chose.
*André Tricot est professeur de psychologie cognitive à l’université Paul Valéry de Montpellier. Il conduit ses recherches dans deux domaines : d’une part, les apprentissages et leurs difficultés, d’origines pathologiques ou non ; ensuite sur, l’activité de recherche d’information dans les environnements numériques. Il a été responsable du groupe qui a élaboré le projet de programme pour le cycle 2 en 2014 et 2015.