Evaluation normative, le risque du non apprendre
Mis à jour le 27.11.24
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Alors que l’erreur est intrinsèque aux apprentissages, les évaluations normatives, dont la prédominance s'accentue avec la généralisation des tests standardisés, mettent à mal l’implication des élèves et les possibilités d’autres formes d’évaluation ou de pratiques coopératives favorisant l’apprendre ensemble.
Fabrizio Butera est professeur de psychologie sociale à l’Institut de psychologie de l’université de Lausanne. Il étudie en particulier les processus structurels fondant l’influence sociale (les normes, le pouvoir, l’interdépendance...), les questions de motivation et les dynamiques de coopération et de compétition.
“La culture de la coopération n’est pas la référence”
LES ÉVALUATIONS STANDARDISÉES RISQUENT-ELLES DE DÉ-TOURNER DE L'ACTE D'APPRENTISSAGE ?
Le débat sur les évaluations standardisées est un débat de politiques publiques, mais ces évaluations présentent les mêmes problématiques que l’ensemble des évaluations normatives dont il s’agit d’interroger la visée. Est-ce que l'évaluation sert à aider les apprentissages, en donnant un étalon dans le cadre d’une progression intra-personnelle ? Ou est-ce qu’elle est objet de normativité créant une comparaison interpersonnelle avec les camarades qui deviennent alors des adversaires ?
Par exemple, le cas macroscopique des tests Pisa, qui mettent en compétition les nations, ont des effets pernicieux. On ne se pose plus la question de ce que la note indique, la focalisation se fait sur la compétition, ce qui -comme le montrent nos études- risque de faire perdre les motivations intrinsèques. D’autres études montrent que l’évaluation normative amène à étudier en surface, et que le but que les élèves se fixent n’est plus le désir d’apprendre, de savoir de nouvelles choses, mais plutôt de ne pas échouer. Cet objectif de curiosité est déplacé sur des pratiques de survie à l’école, de statut dans la classe, de reconnaissance ou de bonne relation à la maison.
QUELLES CONSÉQUENCES PSYCHOLOGIQUES ET SOCIALES PEUVENT-ELLES PRÉSENTER ?
F. B. : Ce but de performance peut entraîner des stratégies d’évitement par crainte de l’échec. La note, les évaluations sont vécues comme des sanctions et impactent la motivation. Une étude montre que cela influe également sur les compétences sociales : le partage de l’information se réduit. La compétition induit même un refus de partager la connaissance, de travailler ensemble. Cela a aussi des conséquences sur le corps enseignant. De récentes études montrent que l'utilisation de la note entraîne une accentuation des inégalités de classe sociale, à résultats égaux. Les élèves ne sont pas notés pareil si la situation professionnelle des parents est favorisée ou défavorisée. Les évaluations normées sont ainsi un bras armé des inégalités sociales dans un cadre de sélection. Cette fonction de l’école devient saillante et produit un tri des élèves.
“La compétition induit même un refus de partager la connaissance, de travailler ensemble”
EN QUOI L'ENSEIGNEMENT EST-IL UNE FORME D'INFLUENCE SOCIALE ?
Notre action en tant qu'enseignant ou enseignante transforme les élèves, elle est donc une forme d’influence. Selon que l’on promeut ou retient les élèves, nous influençons leur avenir. Or, l’école n’est pas l’instrument de réduction des inégalités qu’elle pourrait être. Alors qu’un climat où l’erreur est source de progrès est fondamental, il existe une ambivalence produite par l’évaluation normative. L’erreur est la base de l'apprentissage, l’enseignement vise à travailler aux moyens de l'identifier et de la dépasser et ainsi de progresser. Elle est la base de la relation élève-enseignant et l’école doit offrir un cadre dans lequel l’erreur peut s’exprimer sans crainte. Or, dans le cadre de l’évaluation normative, l’erreur devient une sanction. Le climat positif de l’erreur disparaît : l’élève va tenter de cacher l’erreur, s’inhiber et la non connaissance devient une crainte.
COMMENT FAVORISER UN “APPRENDRE ENSEMBLE” ?
On pourrait se dire que des méthodes d’apprentissage coopératifs existent, appuyées par du matériel, des formations disponibles… Mais il y a ce moment où l’apprentissage coopératif entre en collision avec les objectifs compétitifs de l‘école auxquels on habitue les élèves, qui ont compris que cela aurait des impacts sur leur vie. Finalement, ne pas apprendre fait moins peur que de ne pas passer dans le niveau suivant. Il est donc nécessaire d’expliquer les valeurs qui sous-tendent des pratiques coopératives. Et cela est difficile à mettre en œuvre dans un contexte où la culture de coopération n’est pas la référence. Pour contrecarrer cet effet, il faut penser une formation par école, voire par académie, pour éviter des isolements. Une formation partagée, consensuelle pour inverser la donne.