Enseigner est un métier

Mis à jour le 22.12.20

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Enseigner est un métier qui s’apprend en formation initiale et continue. Il ne faut pas non plus avoir peur de réinterroger ses pratiques quand il y a une difficulté, notamment par une approche collective entre pairs, par un travail en équipe. Le dossier interroge la recherche sur certaines composantes du métier.

Il ne suffit pas de regrouper des enfants dans une salle pour faire classe. Encore faut-il savoir mener ce groupe, marqué le plus souvent pas son hétérogénéité, afin que chacun puisse entrer dans les apprentissages et avancer sur le chemin de la réussite scolaire. Facile à dire, mais plus difficile à faire, c’est certain. Enseigner est un métier qui s’apprend en formation initiale et continue. Il ne faut pas non plus avoir peur de réinterroger ses pratiques quand il y a une difficulté, notamment par une approche collective entre pairs, par un travail en équipe.
Le temps ou l’institution se souciait peu des élèves qui ne suivaient pas est révolu. Les pédagogues et mouvement pédagogiques du XXe siècle y ont largement contribué. Aujourd’hui, on sait que l’on n’apprend pas tout seul et qu’au contraire, on est plus fort à plusieurs qu’isolé. La classe telle qu’on la conçoit aujourd’hui met l’accent sur le collectif, le faire ensemble, la gestion de l’hétérogénéité par le PE, les échanges entre pairs, les interactions entre élèves et entre élèves et enseignantes et enseignants. Les PE, concepteurs de leur métier, savent puiser ici et là ce qu’il y a de mieux pour leurs élèves. Cela relève de leurs compétences professionnelles et de leur liberté pédagogique. Les en priver, prôner des méthodes et des pratiques uniques, constitue une régression. Car ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que les notions de faire ensemble, de travail collectif et d’entraide conduisent à développer des compétences et une grande motivation pour devenir élève.

Enseigner est un métier

Lever les implicites de l'école

Stéphane Bonnéry
Stéphane Bonnery    UDA 2009

Trop souvent, l’école fonctionne avec des implicites et des pré-supposés qui sont autant d’obstacles aux apprentissages, notamment pour les élèves issus des milieux populaires. Professeur des universités en sciences de l’éducation à l’université Paris 8, Stéphane Bonnery fait le constat que depuis 1945, « les supports utilisés délivrent de moins en moins la signification de ce qu’il faut savoir en même temps que les contenus des pages laissent apparaître une augmentation très nette d’outils sémiotiques, de systèmes de représentation différents ». Il rappelle que la majorité des élèves n’est pas en connivence avec les codes de l’école. L’enseignant doit donc les aider à découvrir « le sens caché, donner des références culturelles indispensables pour comprendre » et choisir les supports en connaissance de cause.

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Elisabeth Bautier   UDA  2007, 2008 et 2017

De la même manière, Elisabeth Bautier, professeur émérite de l’éducation à l’université Paris 8, note que « les élèves des milieux favorisés ont l’habitude d’utiliser le langage pour apprendre et construire le savoir » mais « les élèves de milieux populaires peuvent penser qu’ils ont droit de dire ce qui vient à l’esprit, et ce faisant, d’utiliser une langue quotidienne sans aller au-delà de ce qu’elle permet de communiquer ». L’enseignant va devoir leur donner « les mots du savoir, les expressions à réutiliser postérieurement, la compréhension des tâches ».

Enseigner, ça s'apprend

D. Bucheton
Dominique Bucheton    UDA 2010 et 2015

Au quotidien dans leur classe, les enseignantes et enseignants utilisent « différents gestes très complexes pour transmettre les savoirs aux élèves et s’ajuster à l’hétérogénéité, à la diversité des objets de savoir, aux contextes scolaires, aux outils disponibles, bref à la vie de classe », explique Dominique Bucheton, professeur honoraire à l’université de Montpellier. Outre la préoccupation centrale dans la leçon spécifique d’enseigner un contenu spécifique, le PE est préoccupé par « le pilotage » , c’est-à-dire la conduite de la classe dans l’espace, le temps et les diverses dimensions matérielles, « l’atmosphère » qui est la manière de gérer les interactions langagières et les relations entre les personnes, « le tissage » qui, lui, consiste à donner du sens aux apprentissages et faire du lien et enfin « l’étayage » où le PE aide les élèves à faire, à dire, à comprendre.

"Parler le métier"

La chercheuse préconise de « parler le métier » en faisant des analyses de situations ou de vidéos, des entretiens croisés ou d’auto confrontations. Des modalités qui vont permettre notamment aux jeunes enseignants d’augmenter leurs capacités d’auto-analyse et d’accélérer leur développement professionnel. Olivier Maulini, professeur associé à l’université de Genève, précise qu’« une pratique efficace, c’est d’abord une pratique compétente, donc informée et réflexive ». Cependant, il met en garde l’enseignante ou l’enseignant qui serait trop directif « exposant le savoir devant des élèves sommés de ne pas l’interroger », mais aussi celle ou celui « qui se méprend sur la « pédagogie active » en plaçant les élèves en situation d’agir et de s’exprimer mais sans intervention magistrale pour guider leur questionnement ». Même si le chemin est long, il est indispensable de « valoriser et questionner les pratiques ordinaires, seule manière d’en faire le patrimoine d’une profession à la fois exigeante et fière d’elle-même ».

Olivier Maulini
Olivier Maulini    UDA 2017

Jouer collectif

Enfin se pose la question du travail en équipe. Le métier enseignant est souvent un exercice solitaire. Pourtant de nombreux chercheurs et chercheuses préconisent de travailler à plusieurs, à la fois pour sortir de l’isolement mais aussi pour faire évoluer les pratiques. Soutiens, disputes professionnelles, regards croisés, projets communs… le collectif est une richesse. Travailler avec le RASED, les enseignant·es de classe ULIS, les « plus de maîtres », les enseignant·es du même niveau de classe, du niveau précédent ou suivant, les AESH et ATSEM sont autant de leviers pour augmenter la qualité du travail mais aussi les apprentissages des élèves.

Une histoire de climat.  UDA 2009

La qualité de vie des enfants à l’école est un facteur mesurable pour Agnès Florin, professeur de psychologie de l’enfant à l’Université de Nantes, car « la taille du groupe classe et le ratio enfant/adulte » ou la possibilité de parler ou non, renseignent sur le climat de classe. Pour l’améliorer, il faut « travailler sur le vivre ensemble, par le langage et la verbalisation pour donner aux élèves, au travers d’un lexique des émotions, le moyen d’exprimer leur ressenti ». Cela permettra « de travailler sur la prévention des conflits aussi bien entre enfants qu’entre enfants et adultes ».

Enseigner est un métier

Vivre ensemble, ça s'apprend.  UDA 2010

Sylvain Connac, docteur en sciences de l’éducation, définit la classe coopérative comme « un espace scolaire où les enfants peuvent aussi apprendre par l’intermédiaire de leurs pairs, une classe dans laquelle les enfants ont la possibilité de progresser en s’aidant ». Et « pour rendre un apprentissage durable, il n’y a pas mieux que d’expliquer ce qu’on pense avoir compris. Le fait de laisser la possibilité aux enfants de travailler en s’aidant sublime l’acte d’apprendre ». Il faut tabler sur « l’autorisation, la mise en confiance,
la libre circulation, les félicitations » mais « si ce n’est pas organisé, cela peut rimer avec pagaille
».

Enseigner est un métier

Des micro-violences, une grande souffrance

Eric Debarbieux
Debarbieux    UDA 2011

En 2011, Eric Debarbieux , président du conseil scientifique sur la sécurité à l’école et membre de l’Observatoire international de la violence, précise, dans une enquête qu’il a coordonnée, que 12% d’élèves de cycle 3 se déclarent victimes de « micro-violences ». Insultes, vols, surnoms méchants, bousculades amènent à « une souffrance quotidienne qui se traduit par de l’échec scolaire et n’est pas sans conséquence sur la santé physique et mentale ». Eric Debarbieux invite les équipes à réfléchir collectivement et à trouver des solutions pédagogiques pour  exercer une « autorité juste dans des classes démocratiques »

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Patrick Geffard    UDA 2018

Patrick Geffard, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université de Paris 8, préconise, lui, le recours aux pédagogies coopératives et institutionnelles qui permettent de prendre en compte les élèves et les enseignant·es en tant que sujets singuliers. Elles usent de dispositifs comme les messages clairs ou les conseils d’enfants, qui visent à ce que chacun puisse trouver sa propre voie pour s’approprier la classe et s’emparer des apprentissages. Lorsqu’il y a du chahut ou un refus d’apprendre, il faut trouver des stratégies qui ramènent au dialogue.

Bruno Robbes autorité
Bruno Robbes    UDA 2018

Bruno Robbes, maître de conférences en sciences de l'éducation à l’université de Cergy-Pontoise et membre du laboratoire EMA (École, Mutations, Apprentissages), parle de « poser un cadre éducatif clair et fiable », garantissant le respect, la sécurité, les devoirs et les droits de chacun. Il parle d’une « autorité éducative », qui serait « une posture où on s’efforce de garder des points de repères, d’aller au bout de la résolution d’un conflit, de ne pas laisser tomber sa mission de faire apprendre les élèves ».

Comprendre et agir sur le monde.  UDA 2015

Classe découverte ou classe dehors : des modalités différentes pour apprendre et vivre ensemble et pour mettre du sens sur les apprentissages dans le respect des autres et de l’environnement.

Enseigner est un métier

Si la classe est un lieu privilégié pour apprendre ensemble, sortir des murs de l’école est aussi l’occasion d’actionner de multiples leviers pour construire les savoirs, grandir et vivre ensemble. Arnaud Tiercelin, responsable national des questions d’éducation à la ligue de l’enseignement, pointe que « déplacer la classe pour proposer aux élèves un cadre d’expérience vécue facilite l’appropriation et la transférabilité des savoirs scolaires. Le savoir scolaire est ainsi perçu comme un moyen de comprendre et d’agir sur le monde ».
Les classes de découvertes vont « permettre la reconnaissance de l’autre, dans sa différence » mais aussi de « découvrir des milieux naturels, en lien avec les problématiques essentielles liées à l’environnement ». Sans compter qu’emmener les élèves en classe découverte est pour un grand nombre d’enfants l’unique façon de découvrir un autre ailleurs. « Il en va d’un enjeu d’égalité et de justice sociale », affirme-t-il.
Faire classe dehors, c’est aussi ce que promeut Crystèle Ferjou, conseillère pédagogique départementale (79) qui défend la démarche d’éducation globale de l’enfant, inspirée des « forest schools » nordiques. Un levier que les enseignantes et enseignants peuvent saisir, qui permet « l’exploration du monde, le rapport aux éléments et au vivant, pierres, plantes, terre, bois, petites bêtes » et « renforce aussi les compétences esthétiques et sociales ».

Enquête Talis 2018
78%  DU TEMPS DE CLASSE EST CONSACRÉ À L’ENSEIGNEMENT
13%  EST DÉDIÉ AU MAINTIEN DE L'ORDRE
8%   EST ACCORDÉ AUX TÂCHES ADMINISTRATIVES
80% DES ENSEIGNANTS ET ENSEIGNANTES ONT CONFIANCE EN LEURS CAPACITÉS À ENSEIGNER ET À GÉRER LEUR CLASSE

Penser le lieu d'apprentissage.  UDA 2017

«On pense souvent le « faire cours » mais moins l’organisation par l’enseignant du milieu, du lieu de vie où les enfants vont apprendre dans différents registres, formels et informels. Penser l’architecture scolaire et l’environnement permet d’élargir la focale ». Laurent Lescouarch, ancien professeur des écoles spécialisé, maître de conférences en sciences de l’éducation à Rouen, pose ainsi l’environnement scolaire comme un préalable. « Passer d’activités de groupes à des activités individuelles se réfléchit aussi dans l’agencement » de la classe. « Pour l’enseignant, cela implique d’aller vers un regard distancié de ce qu’il fait : passer de gestes d’étayage non conscientisés à des gestes professionnels perçus et réfléchis. Mais il s’agit sans doute aussi d’intégrer les apprentissages informels qui se jouent dans et hors la classe. Nous aurions à gagner à penser l’environnement éducatif en complémentarité avec ce que l’on apprend en dehors de l’école car il n’est jamais évident de démêler où se font les apprentissages des enfants ».

Hétérogénéité

En classe, les PE sont confrontés à ces élèves qui sont plus lents, à ceux qui rêvent, à ceux qui n’arrivent pas à écrire, à ceux qui se font oublier ou qui ont du mal à se mettre au travail, à ceux que l’échec rend agressifs, à ceux qui deviennent excessivement timides, à ceux dont la vie familiale est compliquée, à ceux qui n’ont pas les codes de l’école… mais aussi aux rapides pour qui il faut prévoir davantage. Gérer l’hétérogénéité est un challenge quotidien. Formation, recours au réseau d’aide, décloisonnement, co-enseignement, disputes professionnelles… sont des leviers pour penser ou repenser collectivement le travail et permettre aux élèves de sortir du chemin de la difficulté.

Autorité, qui décide ?

Le rôle de l’enseignant·e aujourd’hui n’est plus uniquement de transmettre des savoirs mais d’aider l’élève à les construire. Pour cela, l’acceptation des règles par toutes et tous est indispensable à la maîtrise du savoir. Or, réclamer l’obéissance ne suffit pas, voire peut être contre-productif, l’autorité se construit au sein du collectif classe. Pour que les élèves aient envie d’explorer et d’apprendre, ils doivent se sentir en sécurité dans un cadre dont les règles sont claires et construites dans des processus co-construits permettant de les faire évoluer.