Devoir de mémoire
Mis à jour le 27.11.24
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Enseigner l’histoire de l’esclavage et de la traite des Noirs n’a rien d’une évidence, tant cette question socialement vive est portée du bout des lèvres par les programmes et les manuels. Savoirs scientifiques et ressources pédagogiques institutionnelles permettent cependant aux PE d’assurer leur indispensable mission civique de lutte contre le racisme.
Marie Albane de Suremain est maîtresse de conférences en histoire et formatrice à l’Inspe de Créteil. Ses travaux portent notamment sur l’enseignement de l’histoire de la traite, de l’esclavage et des colonisations.
“Étayer la déconstruction historique”
ENSEIGNER L’HISTOIRE POUR LUTTER CONTRE LE RACISME ?
À l’école, la lutte contre le racisme est d’abord envisagée à travers les enseignements en éducation morale et civique des principes républicains et des droits humains. Ils jouent sur des ressorts philosophiques et moraux pour susciter l’indignation des élèves face aux humiliations et discriminations subies par des personnes humaines. Mais il importe également d’étayer la déconstruction historique. En s’appuyant sur des savoirs scientifiques, montrer que les stéréotypes ont une histoire permet d’en souligner l’artificialité, de les dénaturaliser. Car il s’agit de constructions mentales apparues à certaines époques et qui répondent à des enjeux d’intérêts, une volonté de domination de certains groupes humains sur d’autres, à l’instar de la colonisation menée par les Européens.
LES PRÉJUGÉS RACISTES SONT DONC DES CONSTRUCTIONS HISTORIQUES ?
Oui, ces stéréotypes péjorants se développent avec la traite négrière. Au Moyen-Age, les descriptions dépréciatrices de l’Afrique côtoient les représentations positives de personnalités noires comme le roi-mage Balthazar, riche et savant ou le roi du Mali, puissant souverain. Cette variété médiévale disparaît avec la découverte des côtes de l’Afrique, quand se développe le commerce d’esclaves d’Afrique vers l’Amérique. Aux 15e et 16e siècles, les Européens reconnaissent l’humanité des Amérindiens et l’impossibilité de les réduire en esclavage. L’infériorité des Africains Noirs est alors affirmée et justifie la traite. Aux siècles suivants, des classifications fondées sur la couleur de la peau se multiplient, établissant une hiérarchie entre Blancs et Noirs. Progressivement, le terme de race s’impose. Ces classements perdurent jusqu’au 20e siècle où culminent leurs effets délétères. Depuis, les progrès de la génétique ont pu montrer qu’il n’y a qu’un seul génome humain et que les caractères phénotypiques sont secondaires.
“En s’appuyant sur des savoirs scientifiques, montrer que les stéréotypes ont une histoire permet d’en souligner l’artificialité, de les dénaturaliser”
QUELLE PLACE POUR L’ESCLA-VAGE DANS LES PROGRAMMES ?
Les programmes de 2002 étudient l’apparition de l’esclavage dans les colonies d’Amérique et la traite des Noirs, reconnus comme crimes contre l’humanité par la loi Taubira en 2001. Ce traitement est maintenu dans les programmes de 2008, malgré des libellés réduits. Les programmes de 2015 marquent un recul. Au sein du thème « le temps des rois », le déplacement d’Africains réduits en esclavage est évoqué, mais le mot traite dis-parait. Le sujet est euphémisé et le peuplement des colonies occulte l'exploitation économique, l'extraction des ressources et le travail forcé. Ces replis semblent liés à la crainte qu’étudier ces questions socialement vives revienne à faire œuvre de repentance. Or, il importe d’enseigner des savoirs émancipateurs sur cette page importante de l’histoire, indispensable à la compréhension de l’époque moderne.
ET DANS LES MANUELS ?
Ils accordent aussi moins de place à l’esclavage et à la traite. Certains manuels ne mentionnent plus que l’abolition tandis que d’autres occultent cette conquête de nouveaux droits. La collection Magellan se distingue favorablement avec une grande variété de documents sur Olaudah Equinao, affranchi et figure de la libération des esclaves, avec des témoignages à hauteur d’enfants. Les documents proposés permettent de réfléchir au lien entre le développement de l’économie de plantation dans les colonies et la mise en place de la traite, ce qui rend intelligible son ampleur démographique. Il importe également de déconstruire l’assimilation entre Noirs et esclaves, à partir d’une pluralité de portraits, y compris de personnages puissants, respectés ou vénérés. Recourir à la littérature jeunesse permet aussi de ré-humaniser en donnant à voir des hommes et des femmes avec leur sensibilité, leurs émotions et réflexions. Cette proximité suscitent l’empathie des élèves pour éviter d’invisibiliser et d’inférioriser. Le travail sur l’abolition doit également s’attacher à montrer la lutte des esclaves, acteurs de leur propre libération et non victimes passives