“Créer un lien de personne à personne”
Mis à jour le 18.11.25
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L’école doit prendre en compte tous les parents, lever les implicites pour que chacune, chacun puisse s’exprimer d’égal à égal. Un préalable indispensable pour construire une véritable co-éducation au service de l’enfant.
Chloé Riban est docteure en sciences de l’éducation et chercheuse au Centre de Recherches Education et Formation dans l’équipe Éducation Familiale et Interventions Sociales auprès des familles. Autrice de l’ouvrage L’école dans le quotidien des mères de familles populaires immigrées Ed PUR, 2024

QUELLES SONT LES ATTENTES DE L’ÉCOLE VIS-À-VIS DES PARENTS ?
L’école a beaucoup d'attentes à l’égard de tous les parents mais nombre d’entre elles sont implicites et mettent en difficulté les parents n’ayant pas les codes de l’école. Il y a des attentes formelles de suivi comme les devoirs ou la signature des cahiers mais aussi des attentes informelles, la plus importante étant la congruence des discours. Une attente compliquée pour certains parents qui peuvent être en désaccord avec ce que propose l'école comme par exemple une proposition d’orientation vers un dispositif ou une demande de suivi psychologique.
Des implicites existent aussi autour des pratiques pédagogiques. L’école considère comme normal qu'à la maison les parents mettent en place des jeux ou des pratiques éducatives qui sont ressemblantes à celles de l'école.
QUELLES SONT LES PRINCIPALES CONCLUSIONS DE VOTRE ENQUÊTE SUR LES RAPPORTS ENTRE ÉQUIPES ENSEIGNANTES ET MÈRES DE FAMILLE POPULAIRE ?
Pour un certain nombre de pa-rents, il est difficile d'être en collaboration avec l'école parce qu’ils ne maîtrisent pas la langue, les codes de l’école ou tout simplement parce qu'ils sont dans des vécus de précarité, d'exclusion ou d'exil qui font que les préoccupations premières ne peuvent pas être celles de la collaboration avec l'école.
Mais l’essentiel de la discorde tourne autour de la violence que peut représenter le jugement de l'institution sur les parents et les enfants. La colère des familles ne s'adresse généralement pas à des enseignants individuellement mais au système scolaire. Les enfants se retrouvent dans des classes sans mixité sociale et ces mères ont le sentiment qu’ils ne sont pas suffisamment accompagnés. La pression mise pour apprendre très vite et un jugement trop hâtif sur la capacité de l'enfant à entrer dans les apprentissages sont aussi pointés. Elles constatent par ailleurs que les enseignants ne vivent pas dans le quartier de l’école. Cet ensemble de paramètres forgent un sentiment de relégation et d'injustice.
“Il est essentiel d’être accueilli sans être jugé parce que l'exercice de la parentalité est extrêmement difficile pour absolument tous les parents”
EN QUOI ACCUEILLIR UN PARENT SANS QU’IL SE SENTE JUGÉ EST-IL ESSENTIEL ?
Il est essentiel d’être accueilli sans être jugé parce que l'exercice de la parentalité est extrêmement difficile pour absolument tous les parents. Nous sommes dans une société dans laquelle la parentalité s'exerce de manière relativement solitaire, les laissant seuls avec leurs interrogations. Ils subissent une forte pression, l'enfant doit réussir scolairement et être épanoui. Quand un parent est reçu par des professionnels, il y a toujours une inquiétude : va-t-on me juger sur la manière dont je suis parent ?
C'est particulièrement vrai à l'école où la plupart du temps les parents ne sont pas invités mais convoqués et la responsabilité de l’échec ou des difficultés de leur enfant leur est très souvent renvoyée. Ils ne sont jamais reçus pour recevoir des félicitations. Or, des choses se passent bien à l'école, il faut que cela puisse être dit et entendu.
COMMENT FAIRE CONCRÈTEMENT ?
Proposer plusieurs modalités de rencontre sur des temps qui n’étaient pas initialement envisagés mais qui peuvent le devenir : échange téléphonique, discussions à la sortie au portail, café des parents... L’idée est de s’adapter à certaines contraintes des parents pour créer un lien de personne à personne. C’est une demande forte des parents de classe populaire d’être reconnus pleinement pour pouvoir entrer ensuite dans un échange en conscience sur la situation spécifique de l’enfant.
Il faut également un travail au long court en équipe pour interroger le regard posé sur les familles en faisant, par exemple, venir des parents d’ATD Quart monde ou des universités populaires des parents. Multiplier les occasions de se confronter à la parole des parents pour savoir ce qu’ils vivent à l’école, pour mieux considérer ce qui se passe quand on est en situation de précarité, prendre conscience de comment cela joue sur le rapport à l'institution c’est-à-dire comment cela rend capable ou non de répondre à certaines demandes.