Climat scolaire, l'espace d'apprentissage menacé
Mis à jour le 28.12.23
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Le climat scolaire continue de se dégrader. Une approche systémique et un travail en profondeur sont nécessaires. Benjamin Moignard : la prévention est plus efficace que la pénalisation. Vincent Bouba président de l'ASL.
Benjamin Moignard, est professeur des universités à l’université Cergy Paris (CY) et membre du laboratoire EMA (Ecole Mutation Apprentissages). Il est co-auteur avec Eric Debarbieux de “École primaire, école pour tous? Enquête auprès des personnels”, CYU/OUIEP/ASL, 2023.
“La prévention est plus efficace que la pénalisation”
L’étude du climat scolaire vise à mieux comprendre la perception qu’ont les personnels, les élèves et leur famille de leur expérience du travail et de la vie à l’école, sans la réduire au seul bien-être. Le climat de l’école, en tant qu’espace d’apprentissages, intègre les dimensions relationnelles, les conditions de mise au travail scolaire, les sentiments d’(in)sécurité et de victimation... L’étude menée avec l'Autonome de Solidarité Laïque (ASL) présente la singularité d’avoir été dupliquée dix ans après, avec un point intermédiaire en 2016, et fournit trois échantillons représentatifs comparables.
Comment a évolué le climat scolaire en dix ans ?
La relation pédagogique aux élèves, centrale dans le rapport au métier, reste très favorablement appréciée des personnels. En revanche, les difficultés relationnelles entre personnels, dans les écoles ou avec la hiérarchie, se sont considérablement accentuées. La défiance envers la haute hiérarchie est massive. L’accentuation du sentiment de mépris, commun à d’autres institutions régaliennes, se singularise à l’Éducation nationale par son ampleur et son accélération. Les difficultés éprouvées face à des élèves en particulier croissent significativement et les enseignants se sentent démunis et isolés. En revanche, victimation et violences – dont les plus dures restent marginales - sont relativement stables. Parmi les victimations diffuses, seules progressent celles entre collègues, signe d’une accumulation de conflits larvés et peu traités, en l’absence d’une culture de gestion des conflits à l'Éducation nationale.
Où en est la relation école/familles ?
Le sentiment de respect par les parents recule, sans atteindre un niveau de méfiance. Très majoritairement, les PE estiment que ça se passe bien avec les parents. L’enquête montre que, contrairement aux stéréotypes, le sentiment de respect est plus grand en éducation prioritaire, même si la victimation y est plus forte. La relation éducative reste donc un appui important pour les enseignants, relativement solide dans le temps. La sensibilité au cyber-harcèlement progresse mais n’est pas une vague de fond, et l’ASL n’est par ailleurs pas particulièrement saisie à ce sujet.
Les difficultés éprouvées face aux comportements sont-elles susceptibles de remettre en cause l'école inclusive ?
Les chiffres sont clairs avec un doublement en dix ans des personnels concernés par ces difficultés jusqu’à atteindre deux tiers aujourd’hui. Au vu des proportions, cela ne relève pas que de la perception. Un quart des PE en difficulté dit n’avoir reçu aucune aide dans ces situations, ce qui renforce le sentiment d’isolement et de culpabilité. Les aides reçues par les trois autres quarts relèvent du « bricolage » entre pairs, sans aide instituée. Les appuis médicopsychologiques ou les accompagnements pédagogiques dédiés sont minoritaires. Sans remettre en cause l’école inclusive, les moyens déployés comme les habitudes prises ne permettent pas d’en atteindre les objectifs, ce qui, selon les PE, portent atteinte à leurs capacités à faire leur travail.
“Travailler avec les autres pour constituer des collectifs,
essentiels à l’amélioration du climat, est un passage obligé”
La formation est-elle le besoin dominant ?
Clairement, mais il l’a toujours été. Impossible d’associer ce besoin à une réforme particulière, tant l’incessant retour du changement caractérise la formation enseignante. Les PE sont en demande d’appui et de soutien, en particulier en matière d’inclusion. Avec le constat qu’à la fois formations initiale et continue ne le leur apportent pas. C’est pourquoi « être plus sur le terrain pour mieux former » ne répond pas à leurs préoccupations, y compris celles des plus chevronnés. Sur les questions les plus épineuses comme le harcèlement, l’inclusion ou la laïcité, la formation continue ne fait pas mieux que la formation initiale. Former les enseignants tout au long de leur vie professionnelle reste un vaste chantier ouvert.
Quels liens entre climat scolaire et lutte contre le harcèlement à l'école ?
Cela fait vingt ans qu’on a établi que l’amélioration du climat scolaire est le meilleur moyen de lutter contre le harcèlement mais aussi de mieux faire réussir les élèves, en particulier en quartier populaire. Dans un ensemble complexe, les deux leviers les plus décisifs résident dans la stabilité et les modalités du travail en équipe ainsi que dans le sentiment de justice scolaire, en matière de sanction/punition ou d’évaluation. D’un côté, des adultes qui travaillent ensemble et sont cohérents dans les modalités d'organisation du travail en classe et à l’échelle de l’école. De l’autre, des élèves qui se sentent reconnus, une exigence croissante dans les sociétés contemporaines. Dans une école où on sanctionne beaucoup et où on évalue beaucoup trop, le sentiment d’injustice se développe et détériore les autres composantes du climat scolaire.
“Les PE sont en demande d’appui et de soutien en particulier en matière d’inclusion”
Faire du harcèlement un délit et sanctionner par l'exclusion. Des réponses efficaces ?
L’accentuation de la pénalisation, le renforcement de la formation et la mise à disposition de personnels dédiés sont des réponses classiques en matière de traitement de la violence à l’école, à l’œuvre depuis les années 1990. Au regard du vécu des victimes, la reconnaissance publique du harcèlement et de ses dégâts est positive. Mais la prévention est plus efficace que la pénalisation, même si moins politiquement identifiable, car elle agit sur des leviers qui paraissent sans rapport avec le harcèlement. Ainsi, l'importance des collectifs adultes ne figure pas dans les plans de lutte contre le harcèlement. Or le harcèlement est d'abord une affaire d'adultes, même s'il faut évidemment travailler la question avec les enfants. Ce sont dans les écoles où les enseignants sont en conflit, peu cohésifs, peu impliqués dans le projet d’école que les élèves subissent le plus de harcèlement. Axer la prévention ou la prise en charge sur le seul référentiel des enfants et de leurs actions n’est pas satisfaisant.
Comment articuler un climat scolaire favorable aux personnels et aux élèves ?
L’enjeu est d’améliorer le climat scolaire et l’expérience des personnels pour améliorer celle des élèves. Il n’y pas d’école où les élèves se sentent bien et où les enseignants estiment qu’il y a des problèmes. Le climat scolaire perçu par les personnels est très incident sur le vécu des élèves. L’exaspération des personnels est très marquée par des expériences jugées infantilisantes, voire un sentiment de mépris de la hiérarchie. Dans le même temps, les enseignants sont peu mobilisés sur des démarches collectives, voire considèrent qu’elles ne sont pas essentielles à leur métier. Il est pourtant devenu indispensable au XXIe siècle de ne pas se cantonner à la seule question de « sa » classe, mais d’intégrer des routines partagées et collectives à l’échelle des écoles. Travailler avec les autres pour constituer des collectifs, essentiels à l’amélioration du climat, est un passage obligé pour répondre aux impératifs de l’école démocratique.
Vincent Bouba est PE spécialisé auprès d’élèves en situation de handicap dans l'Oise et président de l’Autonome de Solidarité Laïque
(ASL) depuis 2019.
Pour quels motifs les PE saisissent-ils l'ASL ?
Les deux tiers de nos dossiers concernent les insultes, menaces, propos diffamatoires. Depuis quatre ans, nous observons une hausse de 23% des dossiers de renseignements juridiques. Ce sont des demandes de précisions sur la sécurité et l’accompagnement des élèves. Les conflits sont surtout avec les parents et les intrusions dans la vie privée sont de plus en plus fréquentes. Ils rendent compte aussi de la tension au travail, du manque d’écoute, de temps, de disponibilité, des inquiétudes, et des relations tendues avec l’environnement : familles, élèves, hiérarchie… Nous sommes en mesure de rechercher des solutions adaptées à chaque situation. Le recours à un avocat de notre réseau peut aussi être nécessaire selon la situation de l’adhérent mais toujours avec un accompagnement militant.
Quelle est la mission de l'ASL ?
Si notre mission première est d’apporter une protection à nos adhérents, nous avons pour ambition d’œuvrer pour le bien commun et de participer à la construction d’une société du faire et du vivre ensemble. Nous sommes un observatoire de nombreuses situations vécues. Les dossiers que nous traitons annuellement sont analysés au sein du Baromètre du climat scolaire. Cette étude est partagée auprès du grand public, des médias mais également auprès des décideurs afin d’alerter sur la nécessaire mise en œuvre de dispositifs de prévention et de protection des personnels. Grâce à notre expertise juridique en droit, nous proposons, dans le cadre d’une convention avec le ministère de l’Éducation nationale, des formations destinées aux personnels sur diverses thématiques : responsabilités civile et pénale, autorité parentale, harcèlement moral, pratiques numériques… Enfin, nous agissons auprès des pouvoirs publics afin de les sensibiliser au renforcement de la protection des agents dans les textes de loi.