“Ce qui est important est dans quel système on enseigne”

Mis à jour le 20.12.21

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Numérique : quels écueils ? quels atouts ? quelles conditions ?

André Tricot est professeur en psychologie cognitive à l’Université Paul Valéry de Montpellier. Il conduit ses recherches dans deux domaines : les apprentissages et leurs difficultés, l’activité de recherche d’information sur des supports numériques.

André Tricot UDA 2021 ©Millerand-Naja

Le numérique, une solution miracle ?

Depuis une quarantaine d’années, les résultats de recherche montrent que les apports du numérique sont très différents selon la discipline et la fonction pédagogique – pour faire des exercices, pour comprendre ou encore pour présenter une activité ou une notion. L’âge des élèves est aussi un élément à prendre en considération. Aujourd’hui, plus personne n’ose prétendre qu’en général le numérique, c’est bien ou en général, le numérique c’est mal.

Quels écueils ?

Un des écueils souvent évoqué est celui de compatibilité entre les outils numériques et l’organisation de la classe, qu’elle soit temporelle, spatiale ou sociale – les interactions entre les élèves et avec l’enseignant. Sur un autre plan, c’est la disponibilité du matériel et des équipements. Pour autant, avoir le matériel ne garantit pas un usage efficace, c’est pour cela que l’on ne peut dissocier la dotation informatique de la formation pédagogique des enseignants et enseignantes. Les pays qui ont eu des politiques publiques d’équipement très volontaristes, comme en Turquie ou en Grande Bretagne, ont pu être déçus des résultats obtenus sans formation des PE. En France aussi, il y a eu une volonté politique d’équiper mais sans réellement former. Fournir le matériel n’est pas la solution, il faut entrer dans une politique plus globale d’équipement et de formation pédagogique.

Quels atouts ? 

Lorsque l’on regarde la littérature sur les plus-values, on voit des choses très contrastées selon l’objectif pédagogique. Si on équipe les classes en lecteur MP3 pour l’étude des langues vivantes afin de permettre individuellement l’écoute de la langue parlée, alors, dans ce cas particulier, l’intérêt est absolument indéniable. Mais cet intérêt dépend avant tout et surtout de l’accompagnement pédagogique, de la manière dont l’enseignant a construit sa séance autour de ces tâches de compréhension orale en autonomie. Mais en tant que support, le lecteur MP3 sera idéal pour cette activité mais complétement inadapté à une activité de mathématiques, par exemple. L’outil numérique peut aussi être l’outil nécessaire au contournement de la difficulté pour des élèves porteurs de troubles cognitifs ou de handicap, qu’ils soient sensoriels ou moteurs. Là, les plus-values sont très importantes mais les investissements publics ne sont absolument pas à la hauteur. Il existe aussi des apports attendus qui ne s’attestent pas finalement. Lorsque l’on interroge les enseignants, dans leur très large majorité, ils sont persuadés de la vertu du numérique sur la motivation des élèves. Pourtant, cet effet ne se confirme pas dans les différentes études sur le sujet. Les élèves sont séduits, sont intéressés mais pas motivés. La motivation entraîne un engagement dans l’apprentissage qui n’est pas attesté dans le cas des usages numériques. Certains auteurs pensent même que cette perception d’une motivation accrue chez les élèves par les enseignants et enseignantes est dû à leurs représentations du numérique. Pour un élève, à fortiori un adolescent, les outils numériques proposés par l’école sont loin d’être aussi intéressants que leurs jeux vidéo.

A quelles conditions l'usage du numérique à distance pourrait-il ne pas creuser les écarts ? 

C’est assez compliqué. Le confinement vient de nous prouver que les outils numériques contribuent à creuser les écarts. Prétendre en France, où les écarts dus à l’origine sociale des enfants ne se résorbent pas à l’école mais se creusent, que le numérique pourrait contribuer à améliorer les choses serait extrêmement prétentieux. J’aimerais beaucoup me tromper mais l’état actuel des choses ne permet pas d’envisager le numérique comme solution miracle. Les outils numériques ne sont que des outils, ce qui est important c’est dans quel système on enseigne. Quels sont les mécanismes de sélection précoce des élèves ? Comment sont prises en charge les différences entre les élèves et entre les parents ? Ce sont là les questions fondamentales dont on doit s’emparer si l’on veut opérer un changement. Les outils numériques sont peu de choses au regard de ces questions. Si on compare aux métiers de la banque ou encore du tourisme, on voit un bouleversement des métiers depuis l’arrivée du numérique. Mais pas dans l’enseignement où ce qui est important, c’est d’avoir une personne qui enseigne et qui sait enseigner dans un système organisé pour être équitable. Les outils numériques arrivent loin derrière.