Avoir une vigilance de genre
Mis à jour le 18.12.23
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Les recherches d'Ingrid Verscheure visent à participer à la réduction des inégalités filles-garçons en EPS, à partir d'une approche didactique.
Ingrid Verscheure est enseignante-chercheure à l'université Toulouse-Jean Jaurès. Ses recherches visent à participer à la réduction des inégalités filles-garçons en EPS, à partir d'une approche didactique. Elle a publié avec C. Amans-Passaga « Une recherche collaborative pour penser des pratiques didactiques favorables à la construction de pouvoirs d’agir des élèves en EPS au cours préparatoire » (2022). eJRIEPS, HS n°5 (31-66)
“Avoir une vigilance de genre”
Quels retours pour votre recherche collaborative avec une école en EPS ?
Depuis dix ans, nous menons cette recherche pour participer à la transformation des pratiques enseignantes autour du genre, avec un point de vue didactique pour que toutes et tous puissent bénéficier d’une véritable EPS. Après une phase de sensibilisation aux effets du genre liés aux savoirs enseignés auprès des PE, nous avons co-construit des séquences d’activités physiques, sportives et artistiques (APSA) ayant différentes connotations sexuées. Le rugby ou la danse avec des connotations fortes, le cirque et le volley plus neutres ou moins connus. Lors de la mise en place des activités, l’observation et les captations vidéos ont permis des échanges autour de débriefings très intéressants pour la construction de nouvelles compétences professionnelles. Cette collaboration a montré la nécessité d’une formation solide en EPS. Plus on connaît l’activité, moins on introduit des biais de genre.
L'EPS produit-elle un effet loupe sur les inégalités de genre ?
Oui, ce qui se passe dans les autres disciplines est amplifié en EPS car il y a une mise en jeu du corps. Or, les élèves sont des enfants éduqués de manière différente selon qu’ils sont garçon ou fille et arrivent à l’école et en EPS avec des vécus très différents. Les garçons sont généralement habitués à bouger, courir, sauter quand il peut y avoir une auto-censure des filles liée à des attentes différentes des adultes. Ce n’est pas qu’elles aiment moins bouger que les garçons mais c’est qu’on les a moins autorisées. En prendre conscience est une première étape pour lutter contre les stéréotypes. Dans la recherche longitudinale, les enseignantes ont, dès la maternelle, été vigilantes à donner toute leur place aux filles dans les activités où lancer, rattraper les ballons était important. Cela leur a permis une première rencontre indispensable avant la pratique du volley-ball en CP.
“Prévoir des séquences longues, de quinze ou seize séances, permet,
notamment aux filles, d’expérimenter, de se tromper et finalement d’apprendre”
Quels rôles jouent les régulations ?
Les APSA proposées à l’école sont issues des pratiques sociales de référence. Les connaître, parler avec les élèves de leur conception des activités, se rendre compte de ses propres stéréotypes, c’est utile pour éviter des régulations encore trop souvent sexistes. La tendance spontanée peut être de chercher à valoriser les filles, mais sans avoir les mêmes ambitions que pour les garçons. Les encouragements ne suffisent pas! Nous montrons que la proposition de binômes ou équipes mixtes par les PE est un élément pour viser la même exigence pour toutes et tous. De même, connaître les principes organisateurs d’une activité favorise les régulations pertinentes. Savoir, par exemple, qu’en cirque, l’objectif est de produire devant un public des éléments à la fois acrobatiques et esthétiques permet d’être vigilant à ne pas laisser se reproduire des façons de faire habituelles, privilégiant l'aspect acrobatique pour les garçons et l’aspect esthétique pour les filles mais porter les deux aspects pour toutes et tous.
Quels sont les leviers possibles ?
Prendre le temps est important. Prévoir des séquences longues, de quinze ou seize séances, permet, notamment aux filles, d’expérimenter, de se tromper et finalement d’apprendre. Les PE doivent avoir une vigilance au genre et avoir toujours en tête que ce sont des filles et des garçons qui pratiquent, mais aussi une vigilance didactique, par rapport aux contenus. Cela amène à jouer sur les variables didactiques proposées, les espaces de jeu, le nombre de joueurs et joueuses ou d’adapter les règles de manière efficiente. Des ateliers où on travaille la technique ne sont intéressants que s’ils sont au service de la stratégie et n’enferment pas les élèves dans des rôles genrés. Ainsi, nous proposons des tâches avec plusieurs modalités de réalisation, qui offrent différentes alternatives, lancer fort ou lancer précis par exemple, pour un même but. Aucune alternative ne doit être privilégiée a priori, chacune peut être utile à un moment ou un autre dans une stratégie identifiée. Enfin, les activités peuvent être choisies pour faire vivre des expériences différentes, moins familières et moins connotées sexuellement. Le but est d’ouvrir les possibles chez toutes et tous.