Avec le RN, démocratie, culture, école en danger
Mis à jour le 25.06.24
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Vincent Tiberj, chercheur à Sciences Po Bordeaux, analyse la percée de l'extrême droite et les craintes qu'elle suscite en termes de danger pour la démocratie, pour la culture, pour l'école.
“Si les idées du RN sont véhiculées, relayées, cela ne veut pas forcément dire qu’elles sont acceptées"
Vincent Tiberj est chercheur à Science Po Bordeaux, spécialisé en sociologie électorale et co-auteur de l’ouvrage “Citoyens et partis après 2022. Éloignement fragmentation” aux Editions Presses Universitaires de France
La percée sans précédent de l'extrême droite aux européennes représente-t-elle un danger pour la démocratie en France ?
Pour beaucoup de citoyens, le RN est un danger et de fait, il l’est en termes de lutte contre les inégalités, de vision des services publics, de conception de ce que c’est que d’être un citoyen en France. Mais le RN est aussi le symptôme de tout un ensemble de phénomènes qui abîment la démocratie. La manière dont a été traité le mouvement sur les retraites en est un exemple, la dissolution de l’Assemblée nationale en est un autre. Trois semaines de campagne pour un scrutin qui fixe l’avenir du pays, le désorganisent et ne permettent pas la qualité des débats. Cette percée du Rassemblement national (RN), est-ce la victoire simple du RN ou la défaillance, le manque d’attachement aux valeurs de la démocratie et de confiance envers les citoyens ?
En cas d'accession au pouvoir, un recul en matière de droits, notamment en matière de culture, est-il à craindre ?
Un recul en matière de culture au sens très large mais aussi des droits, de la liberté d’expression et du service public. C’est toute l’ambiguïté du RN qui aujourd’hui parle de pouvoir d’achat, de droit à la santé mais qui, dans le même temps, n’est pas au clair sur le financement et les besoins du service public. En termes de culture, il y a un passé en France avec les municipalités dirigées par le RN : baisse du soutien aux associations ou pressions sur les festivals par exemple. Quand le RN arrive au pouvoir, c’est aussi un combat culturel et idéologique qu’il mène, soutenu par certains médias et intellectuels. Et toutes les disciplines de sciences humaines, dont le but est de révéler, montrer, dé-construire, analyser tout ce savoir critique est aussi attaqué.
Les idées véhiculées par l'extrême droite sur l'école ont-elles progressé ?
Dans le champ idéel, médiatique, intellectuel, politique, il y a tout un discours du « c’était mieux avant », décliné de manières différentes. Cela va de la relation homme-femme, à la parentalité et jusqu’à l’éducation nationale. Pour le RN, l’école est là pour apprendre l’autorité, les valeurs, l'effort et la discipline. Quand on parle école du mérite, école de l’excellence, c’est le retour à une école fantasmée qui est celle d’une partie de la IIIe République, en oubliant que cette école était ségréguée. Le collège et le lycée étaient essentiellement pour les enfants des élites. Ce qui est terrible est que l’on retrouve des idées de l’extrême droite jusqu’à certaines franges de la majorité présidentielle et dans le gouvernement actuel. Le problème de l’école, ce n’est pas l’uniforme, c’est ce que révèlent les indices de position sociale des familles dans les établissements en termes de ségrégation sociale, d’inégalités entre les établissements. Mais donner plus aux écoles, collèges et lycées qui ont le moins n’est pas un principe du RN.
Comment enrayer la dynamique électorale de l'extrême droite ?
Si les idées du RN sont véhiculées, relayées, cela ne veut pas forcément dire qu’elles sont acceptées. En à peine quatre jours, des manifestations des forces vives syndicales, associatives ont eu lieu. Des partis qui avaient du mal à se parler ont été capables de se rassembler. Tout cela est le signe que la démocratie en France, du côté des citoyens, existe encore. Alors même qu’il y avait une sorte de renoncement perçu après le combat sur les retraites, les gens sont capables de se remobiliser, de se battre pour leurs valeurs. Les électeurs qui se sont prononcés aux européennes ne sont pas forcément représentatifs de l'intégralité des citoyens, beaucoup se sont abstenus. Les jeunes générations sont bien plus ouvertes, moins rétives au multiculturalisme, à l’immigration, à la diversité que ceux et celles qui se sont prononcés pour le RN. Il va falloir que cette partie du pays se bouge et se compte car du côté des électeurs RN, il y a de grandes chances que le vote soit reconduit.