Va faire tes devoirs !

Mis à jour le 12.09.23

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Les devoirs : des débats particulièrement dans le primaire

« Devoirs faits » ou à la maison, la question des devoirs entraîne toujours des débats, particulièrement dans le primaire. 

Les annonces d’Emmanuel Macron fin juin 2023 à Marseille au sujet de l’ouverture des collèges de 8h à 18h au travers de « Devoirs faits », avec des enseignantes et enseignants volontaires et « pactés », a fait resurgir le serpent de mer des devoirs. Mais où en est-on exactement à l’école primaire ? Que disent les textes sur ce travail personnel hors l’école ? Les devoirs servent-ils à quelque chose ou sont-ils une source supplémentaire d’inégalités ? C’est une circulaire de décembre 1956 qui dénonce une journée de travail trop longue pour les enfants et précise que « […] le travail écrit fait hors la classe […] ne présente qu’un intérêt éducatif limité. En conséquence, aucun devoir écrit, soit obligatoire, soit facultatif, ne sera demandé aux élèves hors de la classe… » dans le primaire. En 1994, une nouvelle circulaire proposait d’aménager des études dirigées sur le temps scolaire avant qu’en 2013 la loi pour la refondation de l’école de la République ne demande de « rendre effective l’interdiction formelle des devoirs écrits à la maison pour les élèves du premier degré ». Malgré les textes, « presque tous les enseignants continuent de donner du travail écrit ou oral à la maison » notait l’Inspection générale (IG) dans un rapport de 2022. Reprenant un précédent rapport de 2008, l’IG demandait entre autres de « préciser dans un nouveau texte, la finalité et la nature du travail qui peut être demandé aux élèves en dehors de la classe ».

Scolarisation de l'espace domestique 

Les devoirs souvent évoqués comme un lien entre l’école et les familles génèrent de la pression. Les enseignant•es, faute de temps suffisant en classe, ont tendance à externaliser une partie du travail hors la classe tout en subissant l’adage « un bon enseignant est celui qui donne des devoirs ». Les familles à travers les devoirs et leur encadrement subissent « une injonction au partenariat » comme le définit le sociologue Pierre Périer. Elles espèrent ainsi influer sur le destin scolaire de leur enfant. Selon Séverine Kakpo, maître de conférences en sciences de l’éducation, cette mobilisation dans ce jeu de la sous-traitance du travail scolaire montre ses limites quand les parents, même s’ils sont mobilisés, sont dépassés pour comprendre les tâches demandées ou quand il y a « renormalisation didactique » par le parent des enjeux du travail demandé. Ces situations qui rythment la vie familiale entraînent des tensions. Les devoirs à la maison et les conditions de leur réalisation participent à la production des inégalités scolaires. Des études réalisées aux États-Unis n’ont pu établir aucun lien de cause à effet entre les devoirs et les résultats des élèves. Selon Julien Netter du collectif ESCOL*, si le système scolaire est unifié, le fait d’externaliser une partie des devoirs, à la maison ou à « l’aide aux devoirs » permet de rétablir une sélection dans l’école.

Malentendus

Si le travail oral – révision de leçons, poésie ou lecture faite en classe – est communément admis, il peut, lui aussi, présenter un grand degré de complexité pour les élèves. Ils comprennent mal les enjeux des devoirs et le sens des apprentissages scolaires. Relire, mais pour quoi faire ? Que veut dire apprendre une leçon quand la notion n’a pas été suffisamment appropriée en classe ? L’élève se retrouve souvent seul et démuni face à un travail exigeant et complexe qui relève grandement de l’implicite. D’où l’importance cruciale pour Patrick Rayou, sociologue, d’internaliser les dispositifs de soutien. Le travail personnel de l’élève est trop souvent réduit aux devoirs à la maison alors « qu’il fait partie intégrante de tout processus d’apprentissage », rappelle Séverine Kakpo. C’est en classe et tous ensemble que se construisent le mieux les apprentissages.
* Collectif de chercheur•es en Éducation et scolarisation, université Paris 8.

FsC 492 Les devoirs


Christine Félix est enseignante-chercheure en sciences de l’éducation, université d’Aix-Marseille

FsC 492 Christine Félix


Les devoirs, quels enjeux dans la relation école-parents ? 

En France, l’école a une forte tendance à externaliser toute une partie des missions éducatives vers les familles et tout particulièrement la réalisation des devoirs. Par ailleurs, on sait bien aujourd’hui que l’implication des familles dans la scolarité de leurs enfants est une clé incontournable de la réussite scolaire. Quand on interroge les enseignants, beaucoup évoquent cette finalité comme un moyen de créer des liens entre les parents et les enfants autour de ces enjeux de savoir. Illusion ou utopie ? La croyance très ancrée que la performance scolaire prime sur tout fait qu’être un bon parent se réduit souvent pour l’école à être un bon parent d’élève. On court aussi le risque de professionnaliser les parents et d’attendre qu’ils se substituent au travail de l’enseignant dans la classe. Mais l’école essaie aussi d’associer les familles aux actions éducatives. On retrouve des tentatives pour faire entrer les parents dans l’école et venir observer leurs enfants dans différents temps et activités éducatives et culturelles. Les parents interrogés à propos de cette expérience disent mieux comprendre comment ils doivent accompagner leurs enfants dans le suivi à la maison.

Comment articuler travail en classe et à la maison ? 

Les devoirs comme une continuité entre les différents espaces de travail, la classe et la maison sont globalement un impensé de l’école et de la formation. Par exemple, la transmission des consignes est vraiment fondamentale. Dans le passage de la classe à un espace privé, il va manquer un support qui va permettre à l’élève de faire seul le travail qui a été amorcé en classe. Si les enseignants sont unanimes pour dire que les devoirs servent d’entraînement, on se rend compte en réalité que ceux qui sont donnés sont souvent des exercices que tous les élèves n’ont pas eu le temps de faire dans la classe et cela renforce les inégalités. Dans les recherches conduites, on constate qu’accorder en classe un temps et un espace ritualisés à la réalisation du travail personnel permet non seulement de revisiter collectivement les objets en cours d’apprentissage mais aussi que cela contribue à construire progressivement l’autonomie des élèves dans l’organisation de leur travail personnel.

FsC 492 Les devoirs

Un impensé de la formation 

Chaque situation d’apprentissage convoque des temps d’appropriation et d’exercices permettant d’intégrer ce qui a été enseigné. Il y a donc un enjeu pédagogique autour du travail personnel et de l’autonomie des élèves dans la classe et hors la classe. Quel type de travail donner ? Dans quel but ? Quels prérequis installer ? Comment échanger avec les familles ? Les devoirs à la maison réinterrogent ainsi plus largement les manières de faire la classe. Cependant, ni réflexion ni travail ne sont menés au cours de la formation initiale et continue autour de leurs enjeux ou des malentendus à lever. Face à la mise en concurrence des individus, Christine Félix, enseignante-chercheure, défend une formation qui œuvre sur la dimension collective du travail mais aussi des apprentis- sages. La collaboration et la coopération doivent être au cœur du travail de la classe pour permettre une continuité entre les différents temps et les différents espaces de travail. Du temps et des espaces institutionnalisés doivent permettre qu’une réflexion collective en étroite collaboration avec la recherche s’engage autour du travail personnel de l’élève et son accompagnement et qu’elle puisse se poursuivre par la mise en œuvre de projet d’action et de chantiers. La formation doit être au cœur de tels enjeux.

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