“Une culture scolaire au biberon”

Mis à jour le 03.12.19

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Bernard Lahire dresse le portrait de 35 enfants des trois grandes classes sociales

Le livre Enfances de classes, de l’inégalité parmi les enfants dresse le portrait de 35 enfants représentant les trois grandes classes sociales.

Bernard Lahire

Bernard Lahire est professeur de sociologie à l’ENS de Lyon et membre de l’Institut universitaire de France. Il a publié une vingtaine d’ouvrages parmi lesquels Tableaux de familles (Gallimard/Seuil, 1995), La Raison scolaire (PUR, 2008) et Enfances de classes (dir., Seuil, 2019).

Qu’apporte votre livre à ce que l’on sait sur les inégalités ?

Bernard Lahire : Notre travail avait pour objectif principal de montrer toutes les inégalités qui pèsent sur les enfants et donc sur leur scolarité. On a essayé de les cumuler sur les mêmes enfants afin d’en étudier les effets. On voulait aussi donner la possibilité d’accéder à la connaissance du monde social par une voie qui est la moins théorique possible en alternant des portraits vivants et des analyses pour que cela soit accessible à des publics moins à l’aise avec la sociologie et que tout le monde puisse se faire une idée de ce que vivent ces enfants.

Les inégalités sociales de naissance influent-elles sur le parcours scolaire ?

B.L. : De manière générale, les milieux familiaux son inégalement proches de l’école. Même quand l’école traite de manière égale tous les enfants, elle doit faire avec des enfants qui sont socialement inégaux, des enfants qui, de par leur environnement familial, ne disposent pas tous ni du même capital scolaire, ni du même capital économique, et ont donc des conditions d’existence matérielles comme culturelles, très inégales. Tous ces éléments contribuent à l’échec scolaire. Un autre élément s’ajoute à ces difficultés : l’école n’est pas la même sur tout le territoire, surtout depuis ces quarante dernières années.

Qu’est-ce que le capital culturel ?

B.L. : La notion de capital culturel est une notion forgée par Pierre Bourdieu qu’il définissait comme ce qu’une société donnée à un moment donné considère comme culturel. On parle de capital culturel lorsque l’on est face à des phénomènes d’attribution par un groupe social de valeurs à un certain nombre de pratiques et de compétences. Bourdieu différencie le capital objectivé, comme les livres ou les œuvres d’art, du capital culturel institutionnalisé (les diplômes) et du capital culturel incorporé, qui lui représente la maîtrise des codes culturels mentaux et comportementaux. C’est ce dernier qui est utile à l’élève et qui est souvent le produit d’un héritage familial. Tous les enfants ne sont donc pas également préparés à la forme scolaire dans leurs familles respectives. Certains sont initiés très tôt aux formes culturelles et scolaires légitimes et l’on peut parler à ce sujet d’une sorte de « délit d’initiés ».

Le parcours scolaire des parents a-t-il un impact 

B.L. : Dans notre étude, nous avons observé des enfants dont les arrière-grands-parents avaient fait de longues études. Pour eux, le capital scolaire qui s’est installé depuis plusieurs générations permet une forme d’évidence dans leur rapport à l’école, les pratiques familiales étant en cohérence avec ce que l’institution demande. La façon de s’exprimer avec un vocabulaire adapté et varié, la lecture, la sortie au musée, les jeux pédagogiques, sont de petites choses qui, cumulées, créent un bain culturel permanent, « une culture scolaire qui se boit au biberon ». Plus on monte dans la hiérarchie sociale, plus les parents pensent que l’école peut être un plaisir et pas une simple obligation.

Comment l’école peut-elle résorber cet écart ?

B.L. : L’enjeu est démocratique. Soit on continue à vivre avec une devise républicaine qui prône l’égalité et on se donne les moyens d’en assurer l’application, soit on abandonne et on se dit que pour l’égalité c’est fichu. Penser que l’école peut résorber les inégalités, c’est laisser croire qu’elle a tous les leviers pour changer la donne. Or cela est faux. Le seul levier de l’école est pédagogique : développer des pratiques plus efficaces de transmission des codes scolaires et réduire drastiquement les effectifs… Elle ne peut rien au fait qu’un enfant n’ait pas bien dormi, ni bien mangé, que ses parents ne soient pas dotés en capital scolaire et n’aient pas de pratiques culturelles rentables scolairement. Les écarts se fabriquent avant l’école et parallèlement à celle-ci. Tant qu’il y aura des classes sociales, il y aura des échecs scolaires.

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