Un toit pour les enfants sans abri
Mis à jour le 19.03.24
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À Lyon, des mobilisations pour qu’aucun enfant scolarisé ne dorme dans la rue.
L’école offre un toit aux enfants sans abri
À Lyon, des mobilisations pallient les carences de l’État pour qu’aucun enfant scolarisé ne dorme dans la rue.
La nuit est tombée sur le quartier très pauvre Langlet-Santy dans le 8e arrondissement, à Lyon. Sous le préau fermé de l’école élémentaire Giono, des tissus ont été tendus pour reconstituer un semblant d’intimité pour quelques tentes. Elles abriteront ce soir de février deux familles que loge l’école depuis le 13 novembre. « Avec l’école Alix, nous sommes les deux dernières écoles de Lyon à loger des familles », explique Michel Pelletier, le directeur. L’école scolarise, entre autres, des enfants de foyers de réfugiés tout proches qui ne les accueillent que sur un temps limité. « Une famille de Géorgiens dormait dans sa voiture sur un parking, deux adultes et un enfant de 6 ans, raconte Manon Pilloy , enseignante à l’école et militante à la FSU-SNUipp 69. Puis, une maman congolaise en fin de droits est venue en pleurs dans le froid, ils étaient 6 à la rue, dont 4 enfants. Le 13 novembre, nous avons décidé à nouveau d’ouvrir l’école. Une troisième famille avec un bébé de 6 mois a rapidement trouvé un logement d’urgence par le 115. Une quatrième famille a pu être hébergée à l’école Montel début janvier ».
Les choses se mettent en place, la mairie accepte de laisser le chauffage la nuit. Rien ne serait possible sans le dévouement de Chaffia, la gardienne de l’école. L’équipe enseignante est solidaire : elle a mis en place une caisse de solidarité en cas de besoin et un•e enseignant•e dort à l’école chaque soir. Les repas sont fournis par le Secours populaire ou les voisins. Des conditions précaires de vie et de travail pour les enfants qui cachent leur situation à leurs camarades. « Avant on ouvrait l’école une ou deux semaines, le temps de trouver des solutions. Là ça dure. On est mi-février et il y a peu de perspectives », déplore Fanny Milley, enseignante en CE1.
Quelle politique du logement ?
Comme pendant les vacances de fin d'année, les familles abritées dans les écoles sont logées à l’hôtel par la Ville pendant les vacances d’hiver. « Depuis 2021, la Ville lutte contre le sans-abrisme », indique Sandrine Runel, adjointe aux solidarités. « Nous avons créé plus de 350 places d’hébergement et sommes en conventionnement avec des structures associatives et avec les services de l’État. Malgré tout, sur les 14 000 sans-abris de Lyon, 1 000 personnes, dont 180 enfants, restent sans solution chaque jour ». En lien avec le Samu social, elle finance le réaménagement de la Villette d’Or, un ancien Ehpad, transformé en logements pour des familles à la rue. Contrairement aux idées reçues, sur les demandes d’hébergement à Lyon, les trois quarts des personnes sont en situation régulière pour un quart en situation irrégulière. « L’observatoire du sans-abrisme a dénoncé dernièrement la mise en concurrence des pauvretés pour l’hébergement d’urgence », explique Pascal Isoard Thomas, directeur de l'association Alynea* qui porte le Samu social.
« À Lyon comme partout, le prix du foncier privé est inaccessible et il y a un déficit de 15 000 logements sociaux. Il faut mobiliser le parc réservataire. L’enjeu est dans le logement quelle que soit la saison » complète-t-il. « Avec 27% de production de logements sociaux en moins, il y a un dérèglement des mouvements, explique Véronique Gilet de la Fondation Abbé Pierre en Auvergne-Rhône-Alpes. Les critères en termes d’urgence sociale changent d’année en année et les fins de prise en charge sont déshumanisantes. Pour les logements d’urgence, les temps d’attente peuvent atteindre 4 ans ».
Carences de l'Etat
« Nous nous mobilisons pour les enfants scolarisés sans toit. Nous n’avons pas de structure associative mais un réseau de citoyens “en veille” », explique Juliette Murtin, enseignante dans le secondaire. Né il y a 10 ans à Lyon, « Jamais Sans Toit » (JST) fait partie du « réseau national d’aide aux élèves sans toit » qui existe dans une vingtaine de villes. En juin déjà, le collectif avait occupé un gymnase pour y loger 50 femmes et leurs enfants, avant qu’Alynea - association lyonnaise nouvelle d’écoute et d’accompagnement - ne trouve une solution d'hébergement. « En décembre, 13 écoles étaient occupées sur Lyon, poursuit Juliette. Au retour des vacances de Noël, au sortir des hôtels payés par la mairie, les familles sont retournées dans les écoles ».
Alors que le 115 est aux abonnés absents et que les services de la Préfecture ne proposent aucune solution d’hébergement d’urgence, « Jamais Sans Toit » avec les comités de soutien de chaque école médiatise l’installation illégale des familles dans les préfabriqués du Parc Montel dans le 9e arrondissement, fraîchement libérés des classes qu’ils hébergeaient. « Nous voulions juste quelque chose de plus digne et d’un peu plus confortable » affirme Juliette. La Ville de Lyon remet le chauffage et l’électricité dans les bâtiments. 23 classes, 28 familles, 12 nationalités. 112 personnes dont 63 enfants. La solidarité s’organise : matelas, couvertures, poussettes, vélos, nourriture, habits. Quelques douches, des machines à laver et des micro-ondes. À 17h30, les couloirs commencent à retentir des cris et des rires des enfants qui reviennent des écoles. Ce soir, Claire, enseignante et militante à « Jamais Sans Toit » et Odile, retraitée, accueillent les mamans qui viennent chercher les petits déjeuners du lendemain, du gel douche, du pain et une boîte de thon. « Il y a aussi des paniers suspendus dans les magasins du quartier, des repas à chercher dans les associations caritatives. Le collectif organise des réunions des résidents et des activités pour les enfants » explique Odile, bénévole au Secours populaire.
À Montel, comme dans les quatre écoles qui servaient encore mi-mars de refuge aux familles sans toit, les occupations sont chronophages pour les militant•es. « À deux semaines de la fin de la trêve hivernale, la seule ville de Lyon compte 148 enfants sans toit ! C’est 45% de plus que l’an dernier à la même date et neuf fois plus qu’il y a deux ans », s’alarme JST. Une situation inquiétante quand les promesses d’hébergements d’urgence supplémentaires de la Préfecture restent sans lendemain.
DES VILLES ATTAQUENT L’ÉTAT
Les maires de cinq grandes villes de France (Bordeaux, Lyon, Grenoble, Strasbourg et Rennes) ont fait part le 15 février de leur intention de saisir les tribunaux administratifs contre l’État pour le rappeler à ses obligations en matière d’hébergement d’urgence et lui réclamer le remboursement des sommes engagées pour venir en aide aux sans-abris. Car, c’est la loi qui le dit dans le Code de l’action sociale et des familles, « toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence ». Un droit que le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont plusieurs fois sanctuarisé comme « inconditionnel » et relevant de la responsabilité de l’État.
2 822 MINEURS À LA RUE CHAQUE SOIR
Dans son rapport du 1er février 2024, la Fondation Abbé Pierre estime que 1 098 000 personnes sont privées de logement personnel dont 330 000 sont sans domicile en France. C’est globalement 4,2 millions de personnes qui souffrent du mal-logement et 12,1 millions qui sont touchées à des degrés divers par la crise du logement. Chaque soir, en octobre 2023, on comptait plus de 2 800 demandes d’hébergement non pourvues pour des mineurs contre 1 700 en 2022.