Un job à part
Mis à jour le 04.02.20
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La direction d'école en question : un métier différent mais des pairs parmi les pairs
La fin tragique de Christine Renon a mis en lumière les difficultés liées à la direction d’école. Il est primordial que les discussions engagées avec le ministère aboutissent à des mesures permettant de retrouver le sens de cette mission indispensable au fonctionnement de l’école.
La fin tragique de Christine Renon aura mis en lumière une situation difficile que dénonce le SNUipp-FSU depuis des années, les mauvaises conditions de travail, la surcharge et le peu de sens des tâches à accomplir dont souffrent les directrices et directeurs d’école. Il aura fallu ce drame pour que le ministre accélère ce dossier en annonçant des premières mesures transitoires bien timorées le 13 novembre : un moratoire sur toutes les enquêtes jusqu’à la fin décembre, une journée de décharge supplémentaire sur l’année, un comité de suivi prévoyant une rencontre avec l’IEN et surtout, le lancement d’une enquête dont les résultats ont été publiés en janvier. Près des deux tiers des personnels concernés ont répondu au questionnaire. Une forte participation qui montre à quel point le dossier est loin d’être anodin et qui conforte l’analyse portée depuis plusieurs années par le SNUipp-FSU. Deux idées fortes transparaissent parmi le grand nombre d’informations mises en évidence : le poids de tâches administratives particulièrement chronophages et un fort attachement à ce qui constitue selon eux le cœur de leur métier, le « suivi collectif des élèves, le travail en équipe… ».
Comme le montre la journée d’une directrice ou d’un directeur d’école ordinaire, bien souvent les tâches empiètent les unes sur les autres. À l’école primaire François Guilbault de Brissac Loire Aubance (49), Frédéric Maillard jongle chaque jour avec tout ce qu’il lui faut accomplir : discuter avec les parents et ses collègues, animer l’équipe, répondre au téléphone et préparer le conseil des maîtres… avec des horaires de travail moyens s’étalant de 8h à 18h. Ce témoignage corrobore les résultats de l’enquête diligentée par le ministère et désormais une chose est sûre, la rue de Grenelle ne pourra plus dire qu’elle ne savait pas.
Et maintenant ?
Le chercheur en sciences de l’éducation Frédéric Grimaud mesure les conséquences de la situation actuelle sur les personnels. Il parle de « l’écart qui existe entre ce que le travailleur pense qu’il devrait faire pour un travail de qualité et ce qui est attendu de lui. C’est ce travail « contrarié », source de perte de sens pour le travailleur, qui le poursuit jusque dans sa vie privée, qui altère sa santé ».
Que va-t-il se passer maintenant ? C’est la grande question. Le ministre a engagé un cycle de rencontres portant sur l’allègement des tâches administratives, sur le temps nécessaire à l’exercice de la mission et la revalorisation salariale. Ce dernier point n’a finalement été lié qu’aux discussions engagées sur les compensations financières dans le cadre de la réforme des retraites. Les consultations devraient être bouclées en mars. Seront-elles suivies d’effets significatifs ? Aucun engagement n’a été pris quant aux suites qui y seront données.
“Le directeur peut être un pair parmi les pairs, certes, mais avec un métier différent qui nécessite une autre définition quant à ses compétences et donc sa formation’’
Fausse piste
Alors que s’esquissent des pistes de réflexion, une idée fait son chemin au ministère et parmi certains parlementaires, celle de la création d’un statut spécifique, alors même que seulement 11% des répondants l’ont souhaité dans le questionnaire ministériel. En vérité, cette idée pose plus de questions qu’elle n’en résoudrait. Qu’il soit hiérarchique ou fonctionnel, ce statut aurait des conséquences sur les relations au sein de l’équipe et sur l’organisation du travail.
Bien loin de la tradition française et dans un système scolaire très différent, c’est avec un statut de direction que fonctionnent les directions d’écoles en Belgique. Le directeur ou la directrice y recrute son équipe, exerce des missions d’évaluation et même de validation des nouveaux enseignants qu’il peut révoquer à la fin de la première année.
L’école française s’accommoderait très mal d’un tel système. Comme le rappelle le SNUipp-FSU, en France, les directeurs et directrices d’école sont aussi des enseignantes et des enseignants, inscrits dans une histoire spécifique. Mais il faut bien évaluer la situation : « Le directeur peut être un pair parmi les pairs, certes, mais avec un métier différent qui nécessite une autre définition quant à ses compétences et donc sa formation », nuance la formatrice Cécile Roaux. Ce dont ont besoin les directions ce n’est pas d’un statut. Ce qu’ils et elles demandent c’est du temps de décharge d’enseignement en plus, des personnels d’aide à la direction formés et pérennes et de la formation spécifique. C’est à ces conditions que les directrices et directeurs, dont le temps effectif de travail hebdomadaire dépasse bien souvent l’entendement, pourront revenir à des horaires raisonnables, mais surtout retrouver le sens de leur mission, l’animation et la coordination pédagogique des équipes et des projets.
Un conseil pour l’école
Sous la troisième République, il y avait un directeur et des adjoints et cela dans une forme très hiérarchisée. Le premier devait être titulaire d’un brevet supérieur, les seconds d’un brevet simple, soit deux à trois années d’études de différence. En 1908 est créé officiellement le conseil des maîtres qui tout en continuant à accorder au directeur un pouvoir particulier insiste sur l’idée que le métier d’enseignant doit se pratiquer dans un collectif. Depuis, c’est lors de ces conseils que sont discutées les questions pédagogiques, « emploi du temps, application et adaptation des programmes, choix des livres d’après la liste départementale, étude des méthodes et des procédés d’enseignement… Ces discussions fourniront à nos maîtres l’occasion de faire preuve de recherches et d’initiatives personnelles, de produire des idées nouvelles, de tenter, s’il y a lieu, des expériences fructueuses »*. Il y a eu plusieurs tentatives, en 1977 ou encore en 1987, d’imposer un grade de directeur d’école. Chacune d’entre elles s’est soldée par un échec, les personnels enseignants y étant fortement opposés.
*Circulaire du 15 janvier 1908
Le dossier complet "Direction d'école : un job à part"