“Un grand débat démocratique pour redéfinir le projet de l’école”
Mis à jour le 30.08.24
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Interview de Bernadette Groison, membre du CESE
Bernadette Groison, vice présidente de la commission Education, culture et communication au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Celui-ci représente les organisations de la société civile et associe citoyens et citoyennes à la vie démocratique.
LE DERNIER RAPPORT DU CESE DRESSE UN CONSTAT INQUIÉTANT CONCERNANT L’ÉCOLE ET LA SOCIÉTÉ. COMMENT L'EXPLIQUEZ-VOUS ?
BERNADETTE GROISON : Il suffit de regarder la société telle qu’elle est et les derniers événements politiques le montrent très concrètement : la société française est très fracturée et inégalitaire. Toutes les études - Observatoire des inégalités, Insee, OCDE - montrent que c’est un phénomène qui existe depuis des décennies. Les précédents travaux du CESE* ont montré des niveaux de vie très différents, des « France » qui se côtoient. L’existence et la persistance de fractures sociales – emploi, conditions de vie, logement – se superposent à des fractures géographiques avec des territoires moins riches.
Des inégalités qui se répercutent dans la vie des citoyens et citoyennes, des jeunes et particulièrement dans leurs parcours scolaires. La France est un pays de l’OCDE où l’acquisition des compétences à 15 ans reste le plus liée au milieu social. Face à cette injustice, deux choix sont possibles : soit laisser en l’état parce que finalement la société fonctionne comme cela, soit considérer que ce n’est pas juste socialement, que cela va à l’encontre du vivre ensemble, d’une société qui vit harmonieusement et solidairement. C’est le parti pris du CESE.
COMMENT REDÉFINIR LES FINALITÉS DE L’ÉCOLE ?
B.G. : Il faut s’entendre sur « à quoi doit répondre l’école aujourd’hui ? ». Nous faisons le constat de mesures, comme « le choc des savoirs », qui ne vont pas dans le sens de la réussite de toutes et tous, de l’existence d’une multitude de réformes qui rendent le métier enseignant difficile. L’école se retrouve en tension. Il lui est demandé de promouvoir la mixité sociale, de vivre ensemble dans une société qui ne le fait pas.
Le CESE s’oppose au concept d’égalité des chances qui valide la réussite des « meilleurs » laissant de côté tout un pan de la jeunesse. Il appelle à un grand débat démocratique pour redéfinir le projet de l’école avec tous les acteurs : élèves, parents, personnels, associations, élus. Redéfinir des contenus et des modalités d'enseignement pour que tous les jeunes puissent arriver là où ils le souhaitent. Un débat qui doit s’installer dans la durée avec des diagnostics, des temps de concertation et l’arrêt des injonctions permanentes et contradictoires. Une déconnexion du temps de l’école avec celui du politique s’impose.
“Il faut travailler à une complémentarité plus forte entre les politiques publiques – emploi, logement, culture, santé – aussi bien au niveau national que sur les territoires.”
QUELLE EST LA PLACE DES PE DANS CE PROCESSUS DE TRANS-FORMATION ?
B.G. : Elle est très importante, ils sont au cœur du dispositif car ils font l’école. La transformation du système éducatif ne peut se faire sans eux. Les études internationales montrent que les enseignants français sont moins bien reconnus et rémunérés. Il faut redonner de l’attractivité au métier avec une reconnaissance sociale, une meilleure rémunération, des recrutements mais surtout une formation initiale et continue qui permettent aux professeurs de jouer tout leur rôle. C’est par leurs engagements et leurs convictions que l’école fonctionne aujourd’hui. Il nous faut regarder ce qui s’y passe de très positif et partir de l’expertise professionnelle.
VOUS DÉNONCEZ LES INÉGALITÉS SOCIALES ET TERRITORIALES À L’ÉCOLE, COMMENT Y REMÉDIER ?
B.G. : L’école peut et doit faire des choses sur le registre qui est le sien : formation des personnels, amélioration des conditions d’apprentissage et de la scolarité des élèves. Mais l’école ne peut pas tout toute seule. Puisque les inégalités scolaires sont corrélées aux inégalités sociales, il faut travailler à une complémentarité plus forte entre les politiques publiques – emploi, logement, culture, santé – aussi bien au niveau national que sur les territoires. Un plan spécifique pour les territoires ultramarins est nécessaire. Il est donc nécessaire de travailler sur la carte scolaire et de réviser la carte de l’éducation prioritaire. Des établissements concentrent de la difficulté ou à l’inverse n’en ont pas ou peu. La proposition est de réduire à 30% les écarts d’IPS** à l'intérieur de chaque établissement et entre les établissements publics comme privés. Le CESE invite à ce que l’enseignement privé participe davantage à la mixité sociale.
* Fractures et transitions : réconcilier la France.
** IPS : indices de position sociale.