Stéphane Bonnéry

Mis à jour le 17.06.20

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Interview : Aller vers une école de culture commune

Le confinement et l’école à distance font courir le risque de la perte d’une école commune. Les conditions d’une reprise de tous les élèves, de toutes les classes sociales doivent être données. 

Stéphane Bonnéry,
Professeur en sciences de l’éducation à l’Université Paris 8, membre du laboratoire CIRCEFT-Escol

Stéphane Bonnéry

Comment l’école a-t-elle traversé la crise sanitaire ?

Avec surprise et une forte impréparation, il faut bien le dire. Mais de fait, les logiques à l’œuvre, les difficultés qui étaient déjà là se sont trouvées exacerbées. L’enseignement à distance a posé bien sûr, des questions d’équipement, mais a surtout montré que le déplacement des enseignements hors de l’école se heurte avec violence à la réalité. La majorité des enfants ne sont pas socialisés à la maison pour être des élèves, dans la connivence avec la culture de l’école, au sens où ce que l’on rencontre dans la vie doit être considéré en objet d’étude et pas seulement en objet de pratique. Et ça c’est le rôle de l’école, à l’école. On connaît bien en sciences de l’éducation la question des malentendus scolaires et les enseignants doivent déjà y remédier en classe, avec toute leur formation et leur compétence pédagogique. Penser que l’on peut transférer cela, à des non professionnels, et dans des espaces qui ne sont pas faits pour, est complètement illusoire.

N’existe-t-il pas un risque de transfert des apprentissages ?

Dans cette période, on a vu que le ministre considère les enseignants comme des distributeurs de fiches ou de liens web. Si on va au bout de cette logique, il y a un fort danger de suppression d’une grande part d’entre eux. Or bien peu de familles ont les connaissances et les manières de faire pour enseigner. Les supports pédagogiques de la classe sont pensés pour être cadrés et accompagnés par l’enseignant dans une activité, un discours, une interaction. On a bien vu pendant la période de confinement que ces supports envoyés dans les familles ne pouvaient produire les mêmes effets. Jean-Michel Blanquer instrumentalise la crise pour imposer l’enseignement à distance ou encore tenter, avec les 2S2C, la déscolarisation des arts et des activités physiques en les renvoyant aux communes, à l’associatif, voire aux familles. Il réduit ces domaines à de l’épanouissement. Or les arts, la musique, l’éducation physique, cela s’enseigne. Un roman entre les mains d’un gamin ne suffit pas pour enseigner la lecture.

“L’enseignement à distance a surtout montré que le déplacement des enseignements hors de l’école
se heurte avec violence à la réalité.”

Depuis le 11 mai, tous les enfants n’ont pas repris le chemin de l’école…

À l’école dé-confinée sont surtout présents les enfants de salariés qui sont dans les métiers d’exécution sans possibilité de télétravail. Les enfants de cadres en télétravail et les enfants de travailleurs encore plus précaires, et pour l’instant sans emploi, n’y sont pas aujourd’hui. S’il n’est pas établi, dans les mois qui viennent, les conditions d’une véritable reprise de tous les élèves et de toutes les classes sociales, il y a le risque de ne plus avoir d’école unique avec des objectifs communs mais une école où l’on sera scolarisé en fonction de son origine sociale. C’est le risque de la perte d’une école commune, la fin de l’école publique avec ceux qui pourront faire appel à des services payants. Ce danger-là me semble sous-estimé alors que c’est le plus grave qu’ait connu l’école depuis 50 ans.

Que faut-il privilégier pour démocratiser véritablement l’école d’après ?

Déjà il faut sauver la scolarité unique et aller vers une école d’une culture commune. Il y a besoin d’une formation continue des enseignants centrée sur la lutte contre les inégalités, en lien avec une recherche plurielle dont les enseignants peuvent s’emparer pour réfléchir à leur pratique. Il faut également prendre des mesures économiques drastiques pour dédoubler les groupes, rattraper le retard et lisser les programmes sur deux ou trois ans. La politique des cycles le permet. Enfin, il faut cesser d’individualiser les apprentissages. Avoir le souci de chacun, c’est veiller à ce que chacun parvienne aux mêmes objectifs, visés pour tous. Il faut donc repenser les programmes en prenant pour modèle les enfants qui n’ont que l’école pour apprendre et pas en fonction d’un idéal de l’élève modèle.

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