Sociologie d’un vote
Mis à jour le 30.08.24
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Interview de Félicien Faury sur le vote RN
33% des voix pour le Rassemblement national (RN) et ses alliés lors du premier tour des élections législatives de juin dernier. Le sociologue Félicien Faury (voir ci-dessous), s’appuyant sur une enquête de terrain dans le sud-est de la France, détaille la sociologie d’une partie de cet électorat. Il pointe deux constantes : une corrélation très forte entre ce vote et le faible niveau de diplôme et un ethnocentrisme, pour ne pas dire un racisme, avec une fréquence forte des préjugés associée à un rejet de l’immigration et des personnes immigrées. Phénomène nouveau et assez spécifique à la France, désormais les femmes votent RN autant que les hommes. Cela peut s’expliquer par un « eff et Marine Le Pen », moins viriliste que son père mais aussi par la précarisation des métiers de service, du « care », essentiellement féminins. Enfin, un effet scolaire » joue. En eff et, face aux inégalités, ces électrices, en tant que mères, reprochent à l’école de ne pas remplir son rôle.
Interview
FÉLICIEN FAURY, sociologue, politiste. Auteur de « Des électeurs ordinaires. Enquête sur la normalisation de l’extrême droite », Éd. Seuil.
1.QUELLE CORRÉLATION ENTRE LE NIVEAU DE DIPLÔME ET LE VOTE RN ?
La variable socio démographique la plus prédictive du vote pour le Rassemblement national (RN), plus que le faible niveau économique, est le faible niveau de diplôme. Or, la France est un pays où le capital culturel, les titres scolaires sont importants. Avoir uniquement le bac ou un CAP fragilise face au monde du travail et entraîne une incertitude face à l’avenir. Les trajectoires scolaires des électeurs que j’ai rencontrés sont courtes et souvent mal vécues. En tant que parents, ils entretiennent un rapport compliqué à l’ordre scolaire et rejettent des élites culturelles considérées jugeantes et moralisatrices.
2.CES ÉLECTEURS ET L’ÉCOLE PUBLIQUE ?
Ils sont attachés à l’État mais ce dernier les déçoit avec un sentiment de dégradation de l’offre publique, notamment scolaire. L’école ne remplit pas sa mission de former correctement les enfants dont les parents n’ont pas de diplômes ou de ressources scolaires proprement dites alors que d’autres groupes sociaux, grâce à leur capital culturel, ont les moyens d’aider leurs enfants pour les devoirs ou l’orientation. Les électeurs du RN mettent en place des stratégies d’évitement en choisissant l’école privée, quitte à devoir faire des sacrifices financiers, pensant y trouver plus de discipline et d’encadrement par les professeurs. Ils y cherchent aussi une sélection du public accueilli qui pénaliserait moins leurs enfants, liant la baisse supposée du niveau dans les classes du public à la présence de familles immigrées ou issues de l’immigration.
3.QUEL RÔLE PEUT JOUER L’ÉCOLE ?
Travailler sur la lutte contre le racisme et les valeurs portées par l’école républicaine peut avoir un impact sur les élèves mais aussi sur les familles. Celles-ci ne sont ni anti-culture ni anti-savoirs. Mais elles ont peur d’être dupées face à un système éducatif où règne l’implicite. Il faut se rendre compte de ce que crée notre école comme frustration, violence et humiliation. Les inégalités sociales persistent, voire s’accroissent et ces parents perçoivent derrière ce qu’ils appellent « les beaux discours » une compétition scolaire pour laquelle ils ne se sentent pas armés. L’idéal égalitaire peut rester un horizon mais cela nécessite une école moins opaque et moins injuste.