"Selon le milieu familial, parler ne veut pas dire la même chose"

Mis à jour le 06.11.19

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Marianne Woolven explique l'influence du milieu familial sur le langage

Marianne Woollven

Marianne Woollven, maîtresse de conférences en sociologie à l’université Clermont-Auvergne. Co-auteure de l’enquête collective Enfances de classes, de l’inégalité parmi les enfants (2019, Seuil)

En quoi le milieu familial influence-t-il l’apprentissage de la langue ?

Selon la classe sociale mais surtout selon le niveau de capital culturel des parents, les enfants n’apprennent pas le même rapport au langage. Cet apprentissage passe par des pratiques de la vie quotidienne, comme le choix des livres ou le type d’humour utilisé. C’est la somme de ces pratiques qui produit un rapport différencié au langage. Dans les classes populaires, les parents sont moins diplômés, lisent moins, surtout les pères et transmettent un rapport pragmatique au langage. Parler, c’est avant tout une manière d’agir, on parle pour faire des choses. Alors que pour les enfants plus dotés en capital culturel, dans les classes moyennes et supérieures, parler c’est agir mais c’est aussi manipuler le langage, jouer avec les mots, faire de l’ironie ou encore parler de choses que l’on ne voit pas comme inventer des histoires. Et donc, par les pratiques familiales, les enfants sont préparés très différemment à utiliser le langage.

Comment ces inégalités se retrouvent-elles à l’école ?

L’école est très normative en termes de langage, et cette norme est façonnée par la culture écrite. Ainsi, à l’école, bien parler c’est avoir un rapport réflexif au langage, c’est être capable de le manipuler comme un objet, de diverses manières. Dans notre enquête, nous avons proposé aux 35 enfants des exercices langagiers, nous leur avons demandé de produire des récits, notamment de raconter une histoire à partir d’images. En comparant les récits, on constate des écarts dans la maîtrise du vocabulaire et de la syntaxe. Mais si on envisage cela dans un regard scolaire, ce qui est le plus discriminant, c’est l’écart dans le degré d’explicitation des récits. Face à une même consigne, les plus dotés donnent des informations plus précises sur le lieu, l’action, les personnages. Ils transmettent davantage d’informations par le canal linguistique. Pour les moins dotés, les récits sont plus implicites. Il est tout à fait possible qu’ils perçoivent ces éléments mais ils ne les expriment pas par le langage. Et en situation d’évaluation scolaire, les premiers seront jugés beaucoup plus favorablement que les seconds.

L’école permet-elle de réduire, voire résorber, cet écart ?

On peut envisager les résultats de notre recherche de deux façons. De manière pessimiste, on comprend très bien que, dès cinq ans, des enfants sont très bien partis pour réussir et d’autres pas du tout. Mais dans une perspective plus optimiste, on voit que les atouts culturels sont le résultat d’un apprentissage qui commence très tôt. Ainsi, la réduction des écarts pourrait passer par des apprentissages dès la petite enfance, avant 3 ans. Mais cela suppose une volonté politique.

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