Second souffle pour St-Martin ?
Mis à jour le 03.10.18
min de lecture
Un an après le cyclone Irma, l’île est engagée sur le long chemin de la reconstruction
Les 29 et 30 septembre, le chef de l’État devait se rendre à Saint-Barth et à Saint-Martin. Une « visite de chantier », un peu plus d’un an après le passage dévastateur du cyclone Irma sur ces îles des Caraïbes. Le 5 septembre 2017, le vent a déferlé à 370 km/h, plongeant les deux îles, dans le chaos. Les dommages ont été considérables : 11 personnes ont perdu la vie et 95 % des constructions ont été endommagées ou détruites, plus de 7 000 habitants ont préféré rejoindre la Guadeloupe, la Martinique ou la métropole en attendant le retour de conditions de vie plus acceptables.
Comme rayée de la carte
Les premières urgences ont concerné le rétablissement des réseaux d’électricité, d’eau et les infrastructures de santé. « L’immense chantier de la reconstruction a débuté et il s’étalera sur plusieurs années. Il faut s’imaginer un territoire quasiment rayé de la carte après une catastrophe d’une telle ampleur », explique Daniel Gibbs, le président de la collectivité d’Outre-mer.
La facture des dégâts a été évaluée à 2 milliards d’euros, un chiffre considérable pour un si petit territoire, l’État ayant débloqué à ce jour 500 millions d’euros. Mais l’impact ne se réduit pas à l’aspect financier. Les populations les plus vulnérables, notamment dans les quartiers de Sandy Ground ou d’Orléans ont été touchées de plein fouet alors que la situation socio-économique n’était guère brillante avant le passage du cyclone .
L’impact a aussi été environnemental pour cette réserve naturelle abritant une grande biodiversité et différents écosystèmes marins, lacustres et terrestres.
Mais qu’il s’agisse des espaces naturels ou des zones urbanisées, rien ne sera plus comme avant. « Il y aura un avant et un après Irma, reprend Daniel Gibbs, toutes les décisions prises aujourd’hui en termes d’aménagement du territoire, d’urbanisme et de préservation de l’environnement, devront prendre en compte cette situation. » De toute évidence, le chemin sera long pour que tout revienne à la normale.
Un monstre dans la maison
Les Saint-Martinois ont été profondément meurtris. C’était son tout premier cyclone et Aurore Mugerin, enseignante à l’école Marie-Amélie Leydet, en parle comme « d’un monstre qui cherchait par tous les moyens à entrer dans la maison en hurlant. » Et il est entré, à 5 heures du matin, accompagné d’un mini tsunami qui a inondé la résidence. Bouleversée par ce qu’elle avait vécu, elle n’a pu reprendre le travail qu’en janvier.
L’inspecteur de circonscription, Dominique Boyer, s’est blotti dans une salle de bain sans fenêtre en attendant des heures que ça passe. L’inspection, en face de l’église de Marigot, n’a quant à elle subi aucun dégât. « Peut-être un miracle ? lâche-t-il en riant, mais qui a permis dès le lendemain d’accueillir les nombreux enseignants hagards, venus exposer la précarité de leur situation ».
La semaine suivante, la cellule d’écoute a commencé ses rotations. Marie-Line De Souza, psychologue de l’Éducation nationale, faisait partie de ces équipes associant psychologues, médecins, infirmières et assistantes sociales qui se sont relayées pendant des semaines pour accompagner les membres de la communauté éducative. « Un travail d’écoute des personnels, des enfants et de leurs parents pour leur permettre de verbaliser leur ressenti, qu’ils puissent mettre en mots tout ce vécu traumatique et identifier les possibles signes de souffrance psychique, parfois même d’effondrement dépressif », explique-t-elle.
La rentrée à tout prix
« Le 2 octobre, nous avons rouvert symboliquement dans les rares endroits où c’était possible avec 38 instits sur les 310 que comptait la circo », raconte l’IEN. Comme les autres habitants, nombre d’entre eux, très choqués et pour la plupart complètement démunis, étaient partis se réfugier hors de l’île. Ils sont revenus progressivement, trop lentement pour la ministre des outremers qui les a même accusés d’abandon de poste, suscitant un tollé dans la profession. L’école a repris vraiment le 6 novembre, malgré les nombreuses difficultés à surmonter, notamment en termes de reconstruction du bâti scolaire.
Aujourd’hui, 800 élèves sur les 4 650 scolarisés dans l’île avant le cyclone manquent encore à l’appel. « Ils reviendront sans doute au fur et à mesure de la reprise des activités touristiques, synonymes d’emploi pour leurs parents », précise Dominique Boyer. Ce qui risque de compliquer les choses, les capacités d’accueil ayant été amoindries par la disparition de deux grosses écoles trop endommagées pour être réhabilitées.
« Mais c’est déjà compliqué, s’agace Aurore Mugerin. Les élèves de l’école Nina Duverly et ceux qui reviennent déjà sont répartis dans nos classes, ce qui fait monter les effectifs à plus de 26, dans un REP… » Et les travaux ne sont pas achevés partout. Un document de l’association locale de parents d’élèves en fournit l’inventaire détaillé, établissement par établissement.
« Il reste bien sûr des choses à régler, concède l’inspecteur, on a aussi un vrai problème avec la maternelle Siméonne Trott. Les travaux qui devaient y être effectués durant l’été ne commencent qu’à peine, alors que la classe a repris. Je comprends la colère des familles et des enseignants. »
En tout cas, la nuit, de nombreux enfants des quartiers défavorisés de Saint-Martin voient encore la lune au travers du toit de leur chambre. Et se recroquevillent au moindre coup de vent, à la moindre averse. La saison cyclonique est revenue…
En bref
L’environnement dévasté
Coraux fracturés, arbres déchiquetés, herbiers déracinés, animaux tués… quelques semaines après le 5 septembre, l’Agence territoriale de l’environnement faisait état d’« une perte nette considérable pour la biodiversité ». Les gestionnaires de la réserve naturelle, qui ont engagé un nouveau plan de gestion cette année, ont fixé comme principal objectif le sauvetage et le maintien de la biodiversité.
Par ailleurs, on déplore la présence de nombreux déchets éparpillés dans l’île, qui représentent un danger avec le début de la saison des tempêtes tropicales. Actuellement, il reste environ 20 à 25 % des débris terrestres éparpillés sur le territoire tandis que plus de 55 000 tonnes de déchets et près de 2 000 épaves de voitures (sur 5 000) ont été convoyées dans un « écosite ».
Un grand vent de solidarité
Immédiatement après le cyclone, l’ONG de développement de l’éducation Solidarité laïque
, dont le SNUipp est membre, se mobilisait pour venir en aide aux populations sinistrées.
Un appel à dons était notamment lancé pour pouvoir équiper les milliers d’enfants de Saint-Martin en fournitures scolaires et ainsi favoriser leur retour à l’école. 5 000 kits scolaires composés des « essentiels » ont été constitués, dont la distribution a débuté en novembre et se poursuit aujourd’hui.
Une situation économique déjà tendue
La situation socioéconomique de Saint-Martin se caractérise par la jeunesse de sa population (35 % de moins de 20 ans), un taux de chômage élevé (33 %), un nombre important de personnes bénéficiant de prestations de la CAF (60 % contre 47 % en métropole). Le tourisme, principale activité économique et premier employeur privé, s’est retrouvé sinistré avec la destruction ou de gros dommages de ses infrastructures d’hébergement. Pour la prochaine saison touristique qui débute en décembre, les professionnels estiment que 40 % de la capacité hôtelière sera rétablie, soit 800 chambres. Le secteur a pu bénéficier du dispositif de chômage partiel de ses salariés aidant ces derniers de joindre les deux bouts.