Redonner toute sa place au corps
Mis à jour le 29.01.25
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Décryptage sur l’importance du corps dans les apprentissages.
Si l’esprit ne peut vivre sans corps, l’école considère encore trop souvent le corps comme perturbateur, encombrant, trop mobile. Pourtant les recherches montrent l’importance du corps dans les apprentissages.
Et si se déplacer, percevoir, manipuler... constituaient un apprentissage en soi qui faciliterait tous les autres ? Depuis l’Ancien Régime, le corps est perçu comme encombrant, doit se faire oublier et se retrouve assujetti à de nombreuses contraintes. L’enfant apprend à rester à une place assignée, à ne pas bouger ou une place assignée, à ne pas bouger ou une place assignée, à ne pas bouger ou le moins possible, à maîtriser son corps le moins possible, à maîtriser son corps le moins possible, à maîtriser son corps parce que considéré comme pouvant entraver les apprentissages.
Sous la Troisième République, le corps a une place reconnue mais est pensé uniquement selon les principes hygiénistes du XIXe siècle. Il s’agit d’apprendre à se nourrir, d’enseigner la propreté, de faire échec à l’alcool… Au début du XXe siècle, seules les pédagogies d’éducation nouvelle se soucient de la place du corps et prônent une pédagogie de l’agir pour faciliter et donner du sens aux apprentissages. Il faut attendre les années 70 pour que les sciences sociales se préoccupent véritablement du corps qui va devenir de plus en plus présent dans les programmes scolaires, notamment en maternelle.
LA MATERNELLE, ÂGE D’OR
Le corps figure en bonne place dans les programmes de maternelle actuels même si “se mouvoir” ne fait pas partie des fondamentaux du ministère de l’Éducation nationale centrés sur le “Lire, écrire, compter”. Pourtant, l’activité physique dans la journée d’un élève de
maternelle « doit être majoritaire et surtout protéiforme », affirme Fabrice Delsahut, maître de conférence Staps*. « Elle doit aussi s’inclure dans toutes les autres activités comme les manipulations en classe, les comptines à gestes et les jeux de doigts, les déplacements.... ». Apprendre pour un jeune enfant passe par la motricité et l’engagement du corps tout entier.
Mais, selon ce spécialiste, la motricité est souvent mal pensée, ne se réfère pas aux besoins des enfants et reste subordonnée aux moyens disponibles et au temps consacré aux autres apprentissages. Ceux-ci se caractérisent par les exigences de silence, la volonté de montrer, d’expliquer et/ou de faire verbaliser en excluant souvent l’activité physique. La motricité est aussi fréquemment perçue comme relevant d’un développement spontané alors que les « grands patrons moteurs que sont les locomotions, les équilibres, les appuis, les manipulations, les projections et réceptions d’objet » doivent s’acquérir par la pratique et servir de base pour construire les activités de motricité. De nombreux travaux montrent que l’âge de 6-7 ans constitue une étape importante qui marque la fin des grandes transformations des patrons moteurs de base.
DANS TOUS LES SENS
Cela signifie-t-il pour autant l’arrêt de la prise en compte du corps à l’école élémentaire ? Nathalie Bonneton, maîtresse de conférence en psychologie du développement, explique qu’aux cycles 2 et 3 « la place du corps est finalement assez circonscrite à des disciplines spécifiques comme l’EPS ou les arts »**. Un constat en contradiction avec les récents travaux de la psychologie qui montrent selon la chercheuse que « le corps a une part importante dans la construction des connaissances et dans la capacité à les réactiver. [...]
Les représentations motrices jouent le rôle de ciment entre des représentations auditives et visuelles ». Parce que tous les enfants n’apprennent pas de la même manière, solliciter le corps et pas seulement utiliser l’ouïe et la vue, facilite l’assimilation des connaissances. Sans compter que bouger, expérimenter, activer des sensations, donnent du sens aux apprentissages et facilite l’accès à la compréhension et à la conceptualisation.
*Fenêtres sur cours spécial maternelle 2022.
**Spécial université d’automne 2021.
Interview de Marie Gaussel
Elle est chargée d'études et de recherches à l'Institut français de l'éducation
EN QUOI LA PRISE EN COMPTE DU CORPS INFLUE-T-ELLE SUR LE SENTIMENT DE BIEN-ÊTRE DES ÉLÈVES ?
La prise en compte du corps à l’école est un sujet récent. L’idée que le corps doit être immobile pour apprendre est de plus en plus remise en cause. Si l’enfant a besoin de se sentir en sécurité, écouté, entouré, d’avoir le sentiment de ne pas être seul pour gérer ses problèmes, il a aussi besoin de bouger, de s’exprimer. L’enfant doit être pris dans sa globalité. Les recherches ont montré que si un élève se sent bien physiquement et psychiquement, sa qualité de vie, sa motivation et ses performances scolaires sont favorisées.
Cela demande aux PE de changer de regard, d’accepter qu’un élève puisse apprendre allongé par terre, affalé sur la table ou debout. Trop souvent, le corps est frustré. Parfois, il lui est même demandé d’oublier ses besoins physiologiques, d’attendre pour aller aux toilettes ou boire par exemple. Les sanitaires à l’école sont un lieu emblématique de la non prise en compte du corps où ce dernier peut être à la vue de toutes et tous comme en maternelle, un lieu de harcèlement, un lieu qui ne sent pas bon, etc.
COMMENT PRENDRE EN COMPTE LE CORPS DANS L’ORGANISATION DE L’ESPACE SCOLAIRE ?
Il faudrait tout d’abord remettre en cause la forme scolaire classique où les élèves sont assis à un bureau face à leur professeur. L’idée que seule la position assise permet les apprentissages est dépassée. L’aménagement des espaces doit être malléable, favoriser les interactions et permettre de bouger. La difficulté pour les enseignants consiste à concevoir une séance pédagogique qui concilie un cadre de travail, des attendus en termes d’écoute avec l’ensemble des besoins des élèves.
Si l’espace scolaire est plurifonctionnel à l’école primaire et compte des coins dédiés à l’apprentissage, de plus en plus d’enseignants accordent également de l’importance à l’aspect physique et interactif du mobilier : ballons pour s’asseoir, vélos bureaux, disposition qui facilite le travail coopératif, etc. Cependant, ils se retrouvent tout de même limités par un manque de formation et un financement insuffisant. Sortir de l’école est une piste à suivre. Faire classe dehors implique les élèves dans leurs apprentissages et leur permet de s’épanouir physiquement.