Précocité : des inquiétudes
Mis à jour le 09.11.23
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Itv de Eve Leleu-Galland, docteur ès sciences humaines
Ève Leleu-Galland est docteure ès sciences humaines et co-autrice de «Être bien pour apprendre. Accueillir et enseigner en TPS et PS» (Nathan, 2023).
L'école maternelle, à la croisée des missions ?
À l’école maternelle, on scolarise des enfants d’horizons divers et cette hétérogénéité est renforcée par le jeune âge. Certains ont des craintes et ont besoin d’un temps long pour apprivoiser ce milieu parfois loin du leur. L’obligation d’accueil est donc première pour poser un univers de vie sécurisant, permettant une acculturation progressive. Ce préalable est incontournable pour entrer dans les apprentissages. Une appropriation sur trois ans de cette micro-société particulière est nécessaire pour aller vers les missions de vivre ensemble et de faire apprendre qui constituent la finalité de l’école. Ainsi, la maternelle doit être pensée comme une structure de la petite enfance, avec cet objectif d’éduquer, grâce aux savoirs, à la culture acquise, à la découverte du monde. Ces missions complémentaires entre elles engagent enseignantes et enseignants dans des rôles divers. En relais de la famille, ils sont comme des tuteurs de substitution qui vont solliciter petit à petit, de plus en plus, le côté cognitif.
Les injonctions à une précocité mettent-elles à mal ces équilibres ?
Il existe un mouvement de société qui pousse dans ce sens. Les messages de précocité sont inquiétants. Il est nécessaire de résister pour freiner cette course. Les enfants ont besoin de confiance, de temps pour grandir, pour pouvoir s’engager dans des apprentissages complexes et stables. On ne tire pas sur les feuilles pour les faire grandir ! Les cadres théoriques précisant le développement de l’enfant sont des indicateurs pour savoir ce que l’on peut proposer. Il faut sortir des doxas portées par les médias et certains discours politiques, ce qui se passe en classe relève de l’expérience professionnelle des enseignants et enseignantes. Il faut leur faire confiance.
Comment continuer de prendre en compte l'enfant ?
En maternelle, l’organisation du temps et de l’espace, la nature et la structuration des activités permettent de répondre aux besoins de l’enfant. Elles donnent du temps pour la manipulation, l’observation qui permettent une implication active individuelle et la possibilité d’accompagner concrètement les progrès. Une place importante aux jeux, évidemment, libres ou guidés. Les rituels, les lectures, les chansons…participent à une sécurisation. Les ateliers alternent avec des temps plus collectifs plaçant le langage au cœur des apprentissages. Les PE sont des inventeurs de situations fécondes pour agir, patouiller, observer, tâtonner… Ils créent des environnements incitant les enfants à oser découvrir et à progresser en toute confiance. Faire perdurer cette fonction de lieu de
« bonheur » pour en faire ce plaisir d’apprendre ensemble est indispensable.
“Comprendre que l’on est un parmi d’autres implique une reconfiguration de la relation à l’autre, adulte comme enfant et un effort d’adaptation.”
En quoi devenir élève est un chemin complexe ?
Cela a été un domaine d’apprentissage dans les programmes antérieurs. C’est un apprentissage qui relève du champ des compétences transversales. C’est le fil rouge de toute cette école. Il s’agit pour l’enfant d’appréhender des espaces nouveaux, didactisés, d’en comprendre les usages. Chaque coin de jeu est comme un mini monde à découvrir, à s’approprier pour continuer à grandir, se questionner, apprendre et comprendre que l’on est un parmi d’autres. Cela implique une reconfiguration de la relation à l’autre, adulte comme enfant, et un effort d’adaptation. Parce qu’il sait qu’il a sa place dans ce nouveau milieu, l’enfant va développer son identité, s’ouvrir à de nouvelles découvertes, différentes de son milieu familier.
Comment accompagner l'enfant à décoder l'école ?
Il faut accueillir les familles, expliciter cet univers et opérer une médiation constante avec elles. L’enseignant a un rôle clé dans la compréhension du fonctionnement de l’école. Il doit se rendre disponible pour offrir des interactions individuelles, en petit groupe et des feed-backs forts. Au-delà du principe d’égalité, il faut penser à donner plus de temps, d’attention, d’étayages aux enfants qui se sentent un peu perdus. Formuler à leur place en PS, mettre en mot leur vécu, expliciter l’activité et ce à quoi elle sert, verbaliser les apprentissages. Le langage de l’école est particulier car il est un langage pour accéder à la compréhension et à la pensée. Certains enfants peuvent servir de tuteurs, les apprentissages «par pairs » sont importants, même s’ils sont souvent invisibles.