Philippe Meirieu: « Une montée de l’individualisme social et du repli sur soi ».
Mis à jour le 16.07.17
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Philippe Meirieu a été instituteur puis professeur de collège et de lycée et enfin professeur des universités en sciences de l’éducation (Lyon 2). Il a publié de nombreux ouvrages dont « Comment aider nos enfants à réussir à l’école, dans la vie, pour le monde » chez Bayard en 2015.
Comment expliquez-vous ce développement d’écoles alternatives?
L’expression « pédagogies alternatives » recouvre une multiplicité de réalités et d’idéologies très différentes. Leur développement actuel s’explique tout d’abord par la montée de l’individualisme social. Les grandes institutions, pas seulement l’école mais aussi la justice, la santé, n’incarneraient plus suffisamment le bien commun et chacun alors cherche la solution qui lui sera la plus profitable. Les familles s’estiment légitimes pour se regrouper en association et choisir les maîtres, l’orientation idéologique, la pédagogie. Ce mouvement n’est pas uniquement lié aux problèmes du système scolaire mais aussi à la difficulté croissante de nos compatriotes à accepter que d’autres décident à leur place du bien de leurs enfants. Le 2e facteur, c’est une tendance au repli sur soi, une peur de l’altérité. Il y a une volonté de se retrouver dans un cocon avec des personnes dont on partage les comportements, les codes culturels. Et cette idéologie est extrêmement dangereuse pour le lien social. Le 3e facteur, c’est que ces pédagogies répondent à des inquiétudes de notre monde, les difficultés d’attention des élèves, le rapport à la nature qui devient le privilège de quelques-uns. Enfin, il y a un aspect commercial. Des maisons d’édition publient des guides d’instruction en famille, des médias font des pleines pages sur des écoles différentes sans analyse ni réserve.
En quoi ces pédagogies ont-elles infusé dans le système éducatif français ?
Dire que l’école d’aujourd’hui est traditionnelle c’est une contrevérité. Pour aller dans des écoles maternelles, élémentaires je peux témoigner que partout un certain nombre de principes pédagogiques sont empruntés à Freinet ou Montessori. En général, c’est mis en place de manière moins dogmatique, dans un souci de coller aux besoins des élèves et avec les moyens du bord. Il y a les coins en maternelle, le travail de groupe, la correspondance scolaire, le travail sur le développement durable et surtout la pédagogie de projet. Et ceci malgré une réticence d’une administration qui exhorte à l’innovation mais la soupçonne de ne pas faire le programme. Beaucoup d’enseignants du 1er degré font des tas de choses qui se rapprochent de l’éducation nouvelle mais sans avoir eu la formation nécessaire.
Comment les enseignants peuvent s’emparer de ces pédagogies si elles les intéressent ?
Le problème de fond c’est la place de la pédagogie dans la formation des maîtres, elle est portion congrue, d’où le succès de ceux en dehors de l’Education nationale qui viennent avec des pédagogies en kit pour apporter des solutions toutes faites aux enseignants. Beaucoup de jeunes entrent dans le métier sans avoir entendu parler de la pédagogie institutionnelle, coopérative ou de Fernand Oury alors qu’ils sont nommés en éducation prioritaire. Il faut plus de place pour la pédagogie et son histoire c’est un patrimoine qui se renouvelle et dans lequel il y a des richesses immenses pour les enseignants d’aujourd’hui. La pédagogie pose la question du sujet qui n’est pas une somme de compétences, quelqu’un qui doit réussir aux tests Pisa mais un citoyen qui pense par lui-même et coopère avec les autres.
Comment l’école publique peut faire une place à ces pédagogies ?
Avec cette montée des écoles alternatives, c’est plus une crise du politique que de l’école que nous sommes en train de vivre. En face, il faut proposer un projet politique suffisamment convaincant pour donner aux parents des raisons de renoncer à leur intérêt individuel. Dès que l’intérêt commun n’est plus suffisamment lisible, on voit monter ces écoles parallèles. Si on facilite leur ouverture, sans contrôle, on aboutirait à une explosion du système éducatif et à une juxtaposition d’écoles claniques, sociologiques, idéologiques, pédagogiques ou religieux. La pire des choses serait que se développe un double réseau avec d’un côté l’école traditionnelle et de l’autre les pédagogies alternatives ouvertes aux plus favorisés. L’école publique peut et doit réagir. Il faut travailler sur le plan politique, institutionnel, formatif. Redonner toute leur place aux grandes figures de la pédagogie et leurs travaux, permettre aux enseignants d’élargir leur palette méthodologique. Le projet politique existe mais il est utilitariste, centré sur son mode de fonctionnement, avec une conception trop technicienne de la réussite. Bien sûr il fait apprendre à lire, écrire, compter mais aussi intégrer les valeurs de coopération et de pensée personnelle, alors je suis convaincu que les réseaux alternatifs n’auraient quasiment plus de raison d’être.
« La pire des choses serait que se développe un double réseau avec d’un côté l’école traditionnelle et de l’autre les pédagogies alternatives ouvertes aux plus favorisés. »
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